En attendant le retour de mon bâtisseur d’amoureux qui nous peaufine un beau nid en bois, je m’assieds quelques instants au clavier, triste, fatiguée, comme au bout d’un rouleau dont je crois chaque matin au réveil qu’il a enfin été changé dans la nuit,…
Mais non, c’est toujours le même, je crois bien que tant qu’on ne sera pas dans la nouvelle maison je resterai comme çà, soudainement et par moments sans énergie et comme en train de piétiner pendant des minutes entières…
Alors qu’en fait j’avance, je trie, je range, j’ordonne et je balance le superflu, je donne, de l’amour, des conseils, des vieux livres, des fringues trop petites, de l’énergie… Mais aussi des ordres, des consignes, des réprimandes … et aussi des calins, des bisous, des tartes aux pommes et des blanquettes de veau…
En attendant de donner quoi de moi ? Quoi de vraiment moi ? Quoi de cette envie de rester là à pianoter des heures pour faire sortir tous ces mots, toutes ces phrases qui feront peut-être une histoire ou peut-être rien du tout mais qui seraient tellement plus à leur place sur du papier que dans ma tête en raz de marée – ras le bol - trop plein ?
L’impression de m’essouffler, de m’engluer dans ce surplus de pensées, de textes, de lignes pas écrites et qui engorgent mon cerveau et me pèsent sur le larynx, là où ça fait comme une maudite boule d’angoisse qui ne veut pas être avalée… Je connais trop bien cette lancinante présence au cœur de moi, qui ne se laissera dissoudre que dans les larmes… ou l’encre ?
Pouvoir enfin lui laisser le champ libre, allez, vas-y ma vieille, montre-moi ce que tu as dans les tripes, tout ce que tu dois me montrer depuis si longtemps qui bute à chaque fois sur une infime partie de quotidien, sur une bêtise de durée d’une journée qui n’a que 24 heures dont 8 dans les bras de Morphée…
Dis moi enfin pourquoi tu es là, en moi, ça fait combien de temps, déjà ? 15, 20 ans de latence, d’omniprésence, de ratures à mon esprit comme sur un brouillon d’écolier… Disons donc deux dizaines d’années, puisque ce soir je bois un coup à mes trente-huit, on peut bien avancer ce chiffre, car la trentaine ça ferait un peu « j’écris depuis que je sais lire… » ce genre de connerie qu’on entend parfois dans la bouche des écrivain(e)s trop pressés de rentrer à l’Académie Française ou d’avoir le Goncourt.
C’est pourtant vrai que j’aime raconter, écrire, me laisser mener par les mots vers des rivages inconnus, des terres vierges puisque planquées aux tréfonds de mon imagination, engendrées par la somme de mes émotions et de mes réflexions les plus anodines voire inconscientes, produits de mes lectures et de mes incertitudes face au monde qui m’entoure… Ou soustraction de mes expériences d’avec la multitude de personnes et de situation qu’il ne m’a pas encore été donné de rencontrer (si on peut rencontrer une situation ?) Ou division de la littérature tout entière par mon langage interne et propre à ma seule entité ?
Le nombre de formule est infini, ou plutôt indéfini, et heureusement !!!
Il resterait juste à savoir si cette prose, cette tentative de laisser libre cours à ma logorrhée interne et lui donner existence matérielle est valable, bonne, intéressante pour d’autres que moi-même.
Passés les bienfaits instantanés de l’écriture, qui libère cette angoisse et la laisse s’auto-détruire en une création (car rien ne se crée ni ne se détruit, mais tout se transforme, même les concepts), existe-t-il la possibilité d’en tirer quelconque usage ?
J’écoute souvent les émissions culturelles de France Inter, je lis pas mal d’hebdos qui vont presque systématiquement dans le même sens que ce que j’ai entendu auparavant, j’en déduis qu’il y a une sorte de pensée unique en France pour honorer tout écrivain(e) qui se lance comme étant (partiellement au moins) le renouveau de la littérature contemporaine. Les journalistes se demandent régulièrement si le roman est mort, comment vivent les écrivains méconnus, quel sera le phénomène littéraire de demain, si on va connaître les émois d’un nouveau Sartre ou les splendeurs d’une George Sand du XXIème siècle…
Et moi, dans cet univers fermé, où suis-je ? Ai-je le droit de penser avoir une place un jour dans un de ces papiers ? Est-ce là la motivation qui pourrait m’aider à franchir le pas ? Faut-il ce genre de tentation pour se lancer, ou l’envie d’écrire suffit-elle à justifier de chercher un éditeur ?
A la copine journaliste et auteure de bouquins pour enfants, qui me propose de me donner deux-trois adresses, je ne sais que répondre … Peur d’un œil étranger sur mes textes, doute du bien-fondé de cette démarche-là, manque de confiance en mon style ou la qualité de mes écrits ?
Plus sûrement et pragmatiquement, impossibilité de trouver le temps de tout dactylographier pour présenter les choses dignement, donner une forme à ces centaines de feuillets, mettre au monde quelque chose de présentable et digne d’être lu par un professionnel de la chose !!
Alors je me contente d’y penser, de me représenter mentalement le début de la tâche : faire des tas par année, alors on commencerait quand ? En 1980, année du premier journal intime ? En 1987, où l’amour a motivé l’écriture de dizaines de lettres et carnets ? En 2003, où j’ai enfin réalisé et pu exprimer que c’est écrire qui me fait comprendre ma vie, mon être et ma relation aux autres ?
Bon, une fois qu’on aurait décidé, on ouvrirait les boîtes en carton, les coffrets à lingerie et autres mallettes qui servent depuis tout ce temps d’écrin et de valise à mes gribouillages. Et là, comme l’été dernier où j’ai commencé au pif par 1990, se trouver confrontée au passé, aux émotions anciennes, aux amours mortes et aux naissances diverses… Il me faudrait plusieurs semaines pour réussir à enregistrer tout ça…
Et après, passés les larmes, les sourires et les nuits à se souvenir… Comment ordonner tout cela ? Par quoi commencer, de quelle structure étayer cette production ? Une petite voix me souffle que l’idée naîtra en relisant, en tapant sur mon clavier, que les pensées et les écrits trouveront leur utilité, leur puissance au fur et à mesure de la mise en forme informatique.
Reste donc, juste, à trouver le temps et l’endroit opportuns… Une fois dans la nouvelle maison ????
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire