Annecy 13 mai 2017
Ce matin les premières lumières éclairent le lac d'une étrange douceur.
Le ciel est à l’image de mon esprit et
de notre relation : demi-teinte de gris mêlé de bleu, quelques mèches
blanches s’éparpillent entre les montagnes. La Tournette conserve ses dernières
neiges mais la lutte est âpre avec le tendre vert des coteaux inférieurs.
Le lac a la couleur vert gris des yeux
de notre famille, l’océan marié au ciel d’orage.
Dans le fin fond de moi un tumulte de
combats gronde.
L’envie de se poser, d’observer
calmement la stupeur des âmes révélées dans le farfouillis d’idées et de
sentiments qui fusent par-dessus les agapes partagées en famille.
La distance entre les êtres, le
décalage de sentiments, l’aveuglement de celui qui se pense et se dit face à
d’autres qui écoutent, encaissent, refont en intérieur le ressac de leur
détresse sur le roc de l’adversité.
L’angoisse du constat sans appel :
une existence se résume à des bouts de journaux découpés, des allers-retours du
passé à l’avenir, des bribes de souvenirs en élastique, qui se rapprochent puis
nous échappent dans un incessant va-et-vient.
La solitude profonde de chaque enfant
face à la perte de son parent – ça y est les larmes coulent, on y vient donc,
le point dur est effleuré, atteint peut-être ? L’empêchement créé par les
sournoiseries mal résolues de l’enfance, la pudeur de l’adolescence trop vite
reniée par les aléas familiaux, ou la fatigue d’une décennie de labeur mêlé de
petites escapades, je ne sais quelle puissance a régné parmi nous hier soir,
puis a envahi mes songes jusqu’au matin.
Le rappel de notre absence à cette vie
annécienne est un vaillant chevalier aussi, bien armuré de ses glorieuses
victoires célébrées année après année et précieusement confinées entre les rives
et les contreforts du massif alpin.
Les anciens tremblent de sentir le
souffle de l’Ankou passer si près, espérant peut-être qu’elle les invite
bientôt à leur tour aux grandes retrouvailles, ou bien s’efforçant de résister
à son appel pour savourer encore quelques bribes d’ici-bas…
Les plus jeunes testent, insouciants,
la capacité des adultes à reléguer à la vingt-cinquième heure toutes les
routines, toutes les contingences matérielles, les laissant enfin savourer la
profondeur d’un canapé, la tranche de jambon mangée à pleine main ou les mille
et une merveilles des fonds de placard poussiéreux.
… et ce sentiment fugace d’une
parenthèse qui s’est ouverte puis refermée, annonce d’autres possibles, trop
furtive pour être pleinement observée, trop présente pour être ignorée.
… et toujours en rêve je suis dans la
maison, je quitte la maison, j’y reviens mais rien n’est pareil, je gravis des
sentiers caillouteux, les mauvaises chaussures au pied, ou dans une voiture
pourrie la route tantôt toute belle tantôt défoncée…
… et toujours hante mes songes cette
impression de millionième fois, de recherche infinie du lieu idéal où retrouver
l’harmonie physique et émotionnelle.
Je ne connaissais mon beau-père que
depuis une douzaine d’années, mais la peine de sa disparition brutale
m'empoigne d'un désagréable sentiment de rendez-vous manqué.
Notre arrivée
dans le tumulte des formalités et retrouvailles avec les frère et sœurs
d'Olivier a été un peu dure pour moi, nous étions déjà fatigués de notre vie
trépidante en faisant nos sacs vendredi matin mais là je me sens dépecée de
toute énergie.Toutes les bonnes ondes sont les bienvenues.