vendredi 6 octobre 2023

Parfois ça marche pas ça veut pas

 


Je vois bien

dans les yeux fatigués

À travers les regards

c’est plus l’amour qui passe

c’est les erreurs figées

en indicible ennui

c’est l’impasse triste et noire

des sentiments perdus

c’est le jour qui finit

en orage et grosse pluie

une qui mouille et éreinte

les cœurs endoloris

Une qui enserre les corps

en un las soupir

une qui se mêle de boue

de poussières et de larmes

Une qui souille en tombant

de ses éclaboussures

nos rêves les plus doux

une qui broie les espoirs

et me laisse ahurie.

 

Pleurer comme on déverse

à son tour la tristesse

Hors de soi hors de nous,

mais pas trop loin quand même

pour ne pas qu’elle atteigne

nos enfants nos ami.es

Qu’elle laisse les autres en paix,

que ce combat étrange

ne concerne que nous,

que les éclats d’obus, les lueurs défuntes

n’abîment pas la joie

qui par ailleurs perdure.

 

Crier en dedans soi

l’effroi et la rancœur

Arracher à son cœur les lambeaux du désir,

d’une main les chérir, de l’autre s’en départir

et les voir nous quitter, s’en aller et mourir.

 

en dehors de nos vies

il y aura d’autres émois

un jour peut-être aussi

une nouvelle envie

Mais les larmes, à l’instant

où cette idée m’effleure

d’une douce présence,

submergent à nouveau

mes pensées et mon cœur.

Les vagues redeviennent

houle profonde et sombre

Je ne sais comment taire

ce désespoir immense.

 

Et au matin me rendre compte, après les larmes et les sanglots, qu’il y a un sourire dans le soleil qui se lève. Courage.

dimanche 3 septembre 2023

Des confitures et lire – écrire aussi, peut-être.

 


Au retour de la plage où s’est évanouie la tendresse brièvement retrouvée (à peine), je vais faire ce dont je suis capable : des confitures et lire, écrire peut-être.

En lieu et place d’argumenter de continuer à expliquer d’essayer de soutenir valeurs idées et tentatives de préserver un peu de ce qui me fait tenir debout tête au vent (sentiments et choix de vie), cueillir les mûres comme on cherche des mots, une à une, planquées entre les ronces qui griffent et s’agrippent aux vêtements (l’entourage, la société le monde, ces nervures ces cadres ces carcans), empêchent d’attraper les plus noires, les plus juteuses, telles les pensées qui s’effilochent au fur et à mesure qu’on croit les saisir, les observer - prélever d’elles la douceur et le soleil, l’énergie et l’eau qu’elles ont reçu du ciel, de la terre et de l’air qui vibre entre.

On croit en avoir un kilo dans le sac (le cerveau), ça pèse un peu plus à chaque tournant de talus, mais rien de sûr alors on continue, au prochain sentier on revient, mais là-bas on aperçoit une autre manne et on ne s’arrête qu’en voyant le soleil vraiment bas là-bas derrière les pins.

On prend son temps et on s’empresse à la fin, on a hâte de verser les microcosmes (ces univers) dans la grande gamelle, trier une fois ultime baies de leur pédoncule agrippé, ôter brindilles et minuscules insectes, ces garde-chiourmes de la biodiversité, pour ne garder que les joyaux noirs ou timidement rose parme (Mamie, je n’oublie pas que pour faire un délice il faut quelques fruits non encore mûris).

Comme on a rempli le récipient, en silence et frénésie dans l’entrelacs des neurones qui relient l’esprit au cœur, on a un à un assemblé les mots en grappes de phrases, broussailles de pages qui forment un beau landier de feuilles. On a versé le sucre, cette grammaire qui liera sens et goût, en justes proportions. On l’a laissé faire son boulot, une nuit entière où sous la lune rêves et tristesse ont dilué sucs et pensées.

Au matin, nous y voilà, on fait bouillir on écume puis on touille. Après, passer au moulinet qui égrène et compresse les grains gorgés de sucre pour en tirer la masse sombre et délicieusement parfumée qui va remplir bientôt petits et grands bocaux. Un petit pour Maman, qui ne mange plus rien, un plus gros pour Papa, qui veille à s’en bleuir les cernes, un joli pour Dadou, une dizaine pour les fils, ami.es, anciennes amours, et le reste pour Mamie, en mémoire. Et à chaque moment, l’eau de mes larmes pour irriguer les dernières émotions qui partent sous les couvercles, pots retournés, attendre que le temps la chaleur et le sucre aient fait leur œuvre, merci.

Ensuite pendant après, penser triturer ramoner le fiel des gestes détournés l’amère impression d’emmerder l’acide venin des non-dits des impressions des crachats sur l’envie de rire de se réjouir de partager de s’enivrer de la beauté du jour d’un regard de l’enfance d’une pirouette d’avenir.

Se réveiller un premier dimanche de septembre c’est tout ça. Aussi.

©Gwenn Abgrall – sept. 2023

 

lundi 28 août 2023

Toc toc toc, c'est les derniers jours d'août

Nous sommes artistes, nous racontons le monde.

À coups de pinceaux, en traits de plume ou avec notre corps, dansant chantant tirant la vie de son carcan pour en faire une histoire, une hérésie ou un dilemme, une farandole, un défilé de merveilles ou de honte, selon.

Et puis il y a la lune. Bientôt pleine à nouveau. Comme des milliers de nuit avant la prochaine on sera quelques milliards depuis la terre à la regarder nous voir. Parmi cette multitude, petite âme cherchant sa route, je la contemplerai si les nuages sont d’accord, si mon souffle a effacé suffisamment d’heures parties en buée d’avoir été jusque là.

Elle règne elle régule elle observe et calcule et jamais personne ne l’a fait dévier ne l’a empêchée, elle, de faire le job les marées les menstrues les insomnies les accouchements tout ça.

De ma fenêtre opaque de n’avoir pas été nettoyée des dernières tempêtes, sécheresse, crottes de mouches et autres poussières coincées dans les fils d’araignée, derrière le vitrage je regarderai son cercle parfait, cette brillance de solitude et d’immortalité, je verrai dans ses ombres et ses reflets la course de l’existence les rêves perdus entre larmes et frissons les espoirs les prières les désirs et les orgasmes de toute l’humanité.

Le 30 du mois d’août, je reverrai les jeunes mariés au bord de la rivière, nos adieux déchirés sur une plage alors que tout près nait l’enfant du marin devenu accoucheur par la force des destinées, la princesse déçue, déchue, ébahie éclatée sous le pont de l’Alma, et tant d’images encore qui reviennent hanter les sentiers de ma mémoire.

dimanche 13 août 2023

Dans les plaines du Far West



Sam Petlek avait enfilé son Stetson, en dernier, pour éprouver dans le sombre reflet du miroir fatigué de la salle de bains du motel, sa silhouette de cow-boy las mais prêt à tout pour sauver l’honneur de son nom. Deux générations que des gars comme lui s’évertuaient à rentrer dans le crâne des yankees et des Cherokee que la famille Petlek n’était pas venue du fin fond du Caucase pour faire du macramé ou enfiler des perles, fussent-elles puisées dans la rivière et tamisées au meilleur filtre d’un ancien chercheur d’or comme l’avaient été ses grands-pères.

Voilà, c’était le soir, le soleil avait fini d’iriser l’horizon de ses lueurs crépusculaires.
Dans la chambre d’Alison, il finissait de noyer son chagrin de solitude dans le fond d’un verre de Monkey. La nuit ne tarderait pas à estomper autour de lui le moindre détail du jour passé, qui ressemblerait à s’y méprendre au jour suivant si ce n’est cette légère différence entre un samedi et un lundi, entre un soir entre potes et une nouvelle journée de travail.
Il ravala fierté et derniers relents d’amertume, sa fille était loin et son ancien  amour, sa défunte mère, encore plus enfouie sous terre et les années de veuvage. Allez, la soirée débutait, ne pas fléchir, ne pas mollir. Allez.

*

Pardon
Pardon d’être entrée dans ta vie
Par effraction ou omission
Pardon d’avoir volé dans ton regard
La source qui étanche ma soif
Dans l’oasis tissé en miroir de mon insatiable désir

Pardon d’avoir tendu vers ton souffle serein
Les mille et une insomnies de mes rêves défunts
Pardon d’avoir cru assouvir à ta bouche arrondie les soifs inextinguibles de mes aventures les plus folles.

Tu dors et je susurre
Tu respires et j’halète
Cachant au plus profond
Réduisant au silence
Espoirs et douces craintes
Attentes et vaines absences
Je tâtonne et raconte
La lâche chevauchée d’une femme en errance.

Tant pis la grâce et les voluptés
Adieu les aubes et les paupières fardées
Je repars attristée, lourde des jours déçus
Heureuse des espoirs à venir, s’il y en a sur le chemin.

Les cris et les hourras, les confettis les paillettes, c’est pour d’autres que moi.

Allez, dormir.

6:46 - soit trois paires d’heures plus tard.
Nième tourner-virer entre les draps fatigués.
Combien de temps ça va durer ces dents de scie ? Les haut-le-cœur des dégringolades émotionnelles, les demi-sourires et les joies trop courtes pour être vraiment joyeuses. Les ras-le-bol de quelques secondes qui s’étirent en minutes de plus en plus nombreuses.
C’est comme dans ce rêve, on attend que la boulangère, son apprenti ou le mitron qui passe sa tête enfarinée par la porte du fournil pour dire un mot avant de partir, enfin quelqu’un, quoi, nous vende un pain, n’importe lequel, il y a trop de choix, je ne saurais être juste en demandant du multi-céréales plutôt qu’une brioche, mais bon sang qu’on me regarde et me sourie, juste, en me demandant « et pour vous, ce sera quoi ? ». Les enfants le frangin les parents peut-être aussi attendent dehors dans la voiture ou à la maison que je revienne avec la pitance quotidienne de l’amour en mie et croûtes bien savoureuses des grammes de bonheur solide du qui nourrit étanche faims et soifs diverses donne au corps son dû d’énergie les ressources pour rester droit...

Avant que mon âme se dessèche, recroquevillée dans les ténèbres glacées des heures de solitude, là-bas derrière la montagne de non-dits et les cascades de pleurs rentrés, tu sais, au-delà du gouffre des erreurs de jeunesse, après le labyrinthe de l’enfance aux recoins sombres et épineux.
Il est bientôt sept heures, je vais marcher.

Ah si, avant d’y aller : la pensée soudaine, essentielle, après les whisky purs ou en Irish coffee : contrairement aux plantes et bien des oiseaux qui jamais ne cessent de défier les lois de l’attraction terrestre par l’énergie universelle et atemporelle les hissant vers le ciel, nous devons, nous autres animaux, y céder quotidiennement pour reposer nos êtres de chair et de sang. Glisser vers le sol, agrémenté de couches plus ou moins confortables et vastes, laisser notre corps redevenir docile à l’invisible qui gouverne, cesser de résister, abattre armes et désirs, n’être plus que cession abdication des forces et autres volontés, creuser la brèche dans le rempart, chaque jour soir semaine mois années des milliers d’heures un quart de notre vie si on meurt octogénaire on aura abandonné au creux d’un matelas, d’une botte de foin ou d’un hamac, le long d’un talus, sur un plancher ou une banette qui tangue et roule, toute velléité à rester debout. 
Vient aussi la compréhension massive de la notion d’arbre généalogique, dans laquelle se tiennent tout ensemble la logique des gènes circulant entre les êtres de même origine telle la sève irriguée propulsée des racines vers la plus fine extrémité de la plus petite feuille de la plus haute branche de cet être vivant qui n’en finit jamais de perpétuer son existence à travers temps et espace.

mercredi 9 août 2023

reprise après la déprise

 

OK, juillet s'en est allé sans bruit ni fureur, juste la sueur des gestes de l'été, la fin de l'année scolaire, les départs en vacances, les arrivées sur le lieu du farniente, ou presque.

rupture avec le quotidien, retrouvailles avec les choses, les endroits et les ami.es de l'année passée.

beauté, calme et pensées.

tout est là rien n'a bougé tout est neuf n'est n'est plus comme avant.

et là août qui bouge et transpire aussi. ça ressort lentement, l'envie de dire les mots pour raconter. c'est léger et doux, fou avait tapé le clavier dans un moment de contemplation du dehors où je laissai mes doigts errer autant que mon regard, sans conscience mais avec attention. Donc, c'est fragile, la douceur et l'absence de poids m'ont toujours été délicates à manipuler, j'en prends soin, j'écoute, je paresse en les observant.

samedi 17 juin 2023

sept jours huit nuits à Groix


 
10.06.23
Le médecin de village qui ne voit pas
La masse qui se forme dans la vessie de ta maman
Près de là où tu as dormi neuf mois
Y a un truc qui déconne
 
La vieille dame qui dit
Vive la peine de mort
Quand des enfants perdent leur sang
Sur la pelouse du Paquier
Quand elle a tant vécu 
D’haine et de trahisons,
Y a quelque chose qui s'éteint.
 
Le père qui crie et frappe
D’autres enfants que le sien
Et fait périr l’amour
Sous les fenêtres d’un préfet
Qui l’hiver fait la neige tomber
Des canons pour les nantis du ski
Qui l’été font trempette 
Dans leur piscine 
avec vue sur le lac
Y a un truc qui me dérange
 
Loin du monde stérile anonyme et exsangue
Je me suis retirée, telle la mer en mortes eaux
J’attends le flux qui monte
Il reviendra c’est sûr
Mais serons-nous toujours
Au bord du rivage ?
 

J’habite dans la beauté du jour

Groix c’est trop beau

Pour moi 

Je n’ai rien mérité

Ni l’aigrette ni la mer

Ni les jours qui se lèvent

Entre pointe de l’enfer et phare des Chats

Je n’ai rien mérité et pourtant je suis là

Soleil et pierres levées

me font un doux réveil

D’où je peux contempler

Mes espoirs et mes peines

 

Je m’étais assise au bord du chemin, à l’ombre et dans le courant d’air frais qui monte du ruisseau en contrebas, juste avant la grande montée en plein cagnard.

Le temps de m’installer confortablement, les lapereaux ont repris leur danse effrontée au milieu du sentier, sortant des fourrés et s’amusant à se pourchasser - est-ce vraiment un jeu, ces sauts et ces courses effrénées ? Nous appliquons toujours notre vision d’humain bouffi d’orgueil sur les mouvements des vivants autres que nous, mais que savons-nous du sens réel d’une envolée de moineau, des ondulations du blé dans le vent ou d’un chassé-croisé d’hirondelles dans le ciel ?

Les araignées elles aussi se sont réemparé de l’espace que je leur emprunte, me piquant au hasard jambes et bras dénudés.

Est-ce un salut, une colère, juste une existence qui se manifeste sans façon ?

Là-haut les avions tracent toujours leurs droites qui deviennent courbes puis s’évaporent en stries légères vers le firmament.

Les cornouillers agitent tranquillement les ombrelles de leur floraison, faisant au ballet des réacteurs un bien joli premier plan. Quelques papillons ajoutent leur touche colorée à ce tableau de la vie la vraie, celle qui court à bas bruit sur l’île et partout où l’homme ne peut que parcimonieusement et très brièvement (bonheur !) laisser une trace de sa présence.

Merci, je reprends ma marche vers d’autres moments tranquilles, espoir.

 

Et tiens ! Pourquoi pas rester là, sous l’onde légère qui frémit dans les peupliers ? Avant de les distinguer au détour du chemin, j’ai cru entendre l’eau d’un ruisseau tumultueux. Étrange en ce printemps aride... d’ailleurs la fontaine bien sèche me confirme peu après que ce doux bruissement ne provient pas de l’eau mais du vent dans les feuilles. Ô douceur.

Le vol transatlantique qui tente de supplanter cette jolie mélodie dans le ciel éclatant n’est qu’une brève parenthèse sourde à l’harmonie heureuse et chatoyante que procurent les branchages.

La trace éphémère des réacteurs relie d’un pointillé vite effacé les arbres espacés en quinconces.

Merci, again.

 *

11.06.23 
Oui les canards vont sur la mer
Avec eux elle monte et descend
Au rythme lent des jours qui passent
berce les coques et les rochers
 
Les uns regardent les autres partent
 
Le matin au jardin
Devant le port si calme
On entend en coulisses
Comme l’ouverture d’une symphonie
 
le goéland qui s’essaye à parler
Voix un peu éraillée des agapes d’hier
Un roucoulement de tourterelle
timide dans le fond
Quelques trilles, des volutes
de notes lancées dans l’air léger
De cette fin de nuit
Ce début de journée 
 
Mais déjà les humains s’affairent
Un coup de pagaie
Un éclat de rire
La nuit s’est tue
Jusqu’à demain.

*

Je ne noterai pas ici 
Le bateau au petit matin
croisant dans le chenal
celui parti de nuit
qui déjà rentre au port.
 
Je ne compterai pas non plus
Ni ne conterai d’ailleurs
les bouées encore amarrées 
Et celles par leur esquif délaissées
 
Je ne dirai pas encore
Les couleurs changeantes
À chaque seconde plus intenses
 
Sans nuages le ciel éclaire.
 
Je regarderai juste
la majesté d’un coup de godille
L’arabesque d’un vol de mouettes
La douceur de cet air tranquille
 
L’éternité sous la lune pâlissante.
 
Il n’y a personne pour écrire ça
La beauté simple des jours qui passent
Se ressemblent s’assemblent et se défont
Dans le tourment de nos mémoires.

 

Le sentier serpente entre champs de foin coupé la veille et jachère fleurie qui finit de faner. Une femme, seule. Bras tendus vers le sol par la charge des paquets. Sa démarche hésite, ses talons lui font mal, ou elle a trop chaud dans son jean ajusté. Son sac à dos arrimé de traviole lui vrille l’épaule gauche et soumet sa posture à une impossible flexion entre nuque et coccyx.

Les femmes sont toujours seules quand elles portent les courses. Quand elles marchent dans la rue, quand elles reviennent du sport, quand elles cherchent leur mari. Peut-être quelqu’un les accompagne, prend sa part, même, des fardeaux ou soutient le rythme à tenir, mais dans leur tête elles sont seules. Avec leurs pensées, leurs doutes et leurs espoirs. Personne ne sait, vaut mieux pas d’ailleurs. Des millénaires de questions, des générations d’emprise, plusieurs années-lumière d’incompréhension. L’espace-temps est vaste pour celles qui marchent depuis toujours, vers où ? Le meilleur d’elles-mêmes, croient-elles, la solution à tous leurs problèmes, elles l’espèrent, l’ultime bataille avant le repos, pour les plus rêveuses.

 

 

Pauvres gens qui passent devant le port sans regarder la mer le ciel et la beauté du jour, parlant d’assemblée, de président, de courbes de croissance, de gestion des ressources. Pauvre monsieur en short et t-shirt noir, même ses baskets sont en deuil. « profitez bien » me dit le businessman - de ma journée, du paysage ? Je veux juste contempler, merci

Pourquoi quand je me mets à réfléchir au sens de « profitez bien » une côte se présente au détour du chemin et en rythmant souffle et pas sur les marches naturelles ou créées à mains d’homme depuis des siècles en ce bord de mer façonné par les tempêtes, je vois bien là encore une synchronicité un hasard qui n’en est pas.

J’en étais à « je préfère contempler » le correcteur ortho, lui, souhaite que je répare ou que je contrôle. Ok mais non, les mots ont leur importance, dit celle qui les affronte les triture les choisit les observe et les prend les retourne les utilise tels les outils qu’ils sont bel et bien.

Kiffer l’étymologie ça ne s’invente pas ça se travaille.

*

12.06.23

Ici tout et rien ne change
La lumière le chant des oiseaux
Le sourire de la voisine qui bonjoure 
ses fleurs à grands jets d’eau scintillante
Le profil attentif du pêcheur en partance
La masse sombre au loin des rochers bientôt recouverte 
des miroitements d’écume.
 
Ici tout est calme et profus 
de mouvements 
ténus comme une risée 
Fugaces comme l’envol de l’aigrette 
Magique en tout moment.
Merci.

 

La femme qui marche dans l’eau en tenant dans ses poings serrés le bas de sa robe défraîchie, on voit dans ses jambes toutes les années de monter descendre les escaliers de l’immeuble ceux du métro et les kilomètres entre le boulot les courses l’école des petits en allers retours depuis tout ce temps ça doit bien faire le tour de la terre. Peut-être même plusieurs.

*

14.06.2023 – après une discussion tél

En fait c’est ça qui se passe
Cette incapacité que j’ai
L’inaptitude aux gens
L’emportement qui me prend d’un coup d’être en phase
Mon monde contre le leur, de plein fouet
Un mur
Dans ma gorge un gros parpaing
Une gifle en pleine face
 
Les larmes montent le souffle coupe
Ça serre le ventre et envie de ch...
La trouille
Finir toute seule entre quatre murs les mains liées 
ou les neurones par une camisole de tissu ou de cachets.
 
Devant l’écran au téléphone dans la cuisine sur le marché
À chaque fois pareil
Plus ou moins dense peut-être avec une certaine 
légèreté voire en douceur mais à tout moment 
ça peut survenir 
Ce sas dans lequel je dois rentrer pour ne pas éclater
Cette bulle que je me construis vite fait pour ne pas 
disparaître retourner au néant détaler 
fuir tourner le dos.
 
Juste après quand j’arrive à sourire à reprendre le fil 
les choses peuvent être tendres, presque.
 
« On n’est pas sur la même longueur d’ondes. » 
Plutôt on vient de se croiser, on n’allait 
pas dans la même direction, ou pas avec la même énergie.
 

Les gens, cette entité mystérieuse. Tu crois être aimable, souriante et à l’écoute, tu te heurtes au déni de tes sentiments. Chacun dans sa tête, le cœur en bandoulière mais pas toujours sur le devant, bien souvent il est mis de côté, sur la hanche ou carrément derrière en appui sur les reins, dans la petite sacoche qu’on a fabriquée depuis l’enfance pour le planquer aux regards inquisiteurs, malfaisants ou pervers. La barrière des bras et les mouvements du corps le gardent à l’écart, chacun·e se protège, tout le monde a le droit au retrait.

Moi mon cœur je le porte en écrin, il se blottit sous mon ventre, entre la petite trace de l’appendicectomie et la place où la peau est si douce, en descendant vers le plaisir camouflé plus bas. Mon cœur il palpite que tu le découvres et lui dises bonjour. Mon cœur il est au bord de mes lèvres quand je te souris, il est au creux des petites rides quand mon regard s’éclaire, il bat un peu plus fort de te regarder le reconnaître.

Alors quand tes paupières battent du refus d’être là, quand ta bouche argumente que je n’ai pas compris, quand tes gestes me disent ton désaccord, quand ton corps s’en va dans l’incompréhension, je sens se recroqueviller l’enfant que j’ai été, à tout petits pas elle se cache, en elle-même elle enroule tristesse et peur, et elle pleure doucement. Avec le temps elle a appris à me tenir la main, à quand même m’aider à ne pas m’écrouler. Je lui serre les doigts, elle me répond d’une chaleur diffuse qui m’aide à terminer, vite, à m’en aller, loin.

 

15.06.23- avant l’étale de basse mer

Le bruit léger de l’anneau qui tinte contre le quai. Un roulement mat pointillé d’à-coups brefs, la prame est portée-roulée jusqu’à toucher l’eau, petit glissement et, le temps qu’une mouette plane  un instant au-dessus de lui, l’homme a déjà godillé sur près de vingt mètres. Un silence voile le port, où est-ce une légère brume qui monte avec le soleil levant ? Les marins s’interpellent, l’un va saluer l’autre :

-          je t’attends ou on se retrouve aux Chats ?

L’heure est à la minutie de gestes vite exécutés, les autres sont déjà partis, l’aube les a sûrement trouvés devant les Sables Rouges,

-          dépêche-toi donc !

-          C’est ce foutu moteur, c’est comme à la maison hier soir, y en a qui ne veulent rien savoir.

Échange de regards par-dessus les listons, une tête se penche sur son Evinrude, l’autre en quête d’infos, il va falloir attendre. Les paroles se font brèves :

-          Viens alors, monte, tu me raconteras.

-          C’est pas pareil tu sais bien, je vais t’embêter, en plus je vois l’Arthur qui se pointe, t’avais prévu de l’emmener, on va se gêner à trois. Et puis de toute façon le cœur n’y est pas, je préfère rentrer, tant pis. Ramène-moi quelque chose si ça mord.

L’homme se penche à nouveau pour une dernière tentative, se relève triomphant dans une pétarade enfumée :

-          Ah bah tu vois finalement, y veut bien. On se retrouve là-bas, je vous suis.

Les sillages ondulent maintenant vers le rivage, les lignes se croisent au détour du chenal : deux pêcheurs rentrent déjà, partis bien avant l’aube sûrement. Les lueurs du levant se font lumière, çà et là des roches affleurent qui l’instant d’avant ne se devinaient qu’à quelques mouvements bruns à la surface miroitante. De longues algues enlacent à présent chaque masse de granit ou de schiste arrondie par les ans. Les soubassements de la jetée craquètent des bruissements d’algues découvrant l’air et le soleil, attirant tout un peuple d’oiseaux, de crustacés et autres minuscules organismes friands des nourritures et abris qui s’offrent maintenant à eux.

Un homme descend son youyou, certains achèvent de ranger leur canot, on se croise à présent sur la cale glissante, les bonjours fusent entre godilleurs qui bientôt s’élanceront et ceux qui s’en reviennent :

-          la pêche a été bonne ?

-          pas pire qu’hier, j’espère moins que demain…

On ne dit pas ce que l’autre risque de prendre pour orgueil ou méfiance, chacun part sans se retourner, espérant simplement continuer sa journée comme elle a commencé : dans le calme des choses simples.

*

 

17.06.23 dernier matin sur le port

Au loin on entend le ressac. Doux et puissant, la rumeur se fait berceuse, repartir dans le silence des rêves serait tentant. Les notes éparses des premiers oiseaux du jour éclatent des bulles de réalité poétique, le lancinant roulement des pigeons domine, il est temps il est temps, disent-ils doucement. Alors quitter la chaleur tendre des draps, se hisser dans l’aujourd’hui qui sera fait de rires, du tintement des verres qu’on trinque puis lave puis range entre ami·es, des moments de partage et d’étonnement de se trouver ainsi, ici, en parallèle de nos vies trépidantes, laissées pour quelques heures au lointain de la semaine.

Puiser maintenant les ondes qui se faufilent entre lignes et horizon. Remplir une page, quelques instants de grâce avant le lever de soleil, contempler l’aube laisser place au début de journée, lisser en soi les derniers soubresauts des pensées tumultueuses qui ont accompagné le réveil. Docile et attentif, mon esprit se concentre, attire pensées et ressentis pour la ronde des mots. La farandole sera jolie, j’écris.