jeudi 14 mai 2020

14.05.2020 – 22h19 – les enfants enfin couchés



Quelques traces du soleil de saint de glace au loin là-bas.
Un palet au sarrasin, deux-trois carrés de chocolat aux fruits rouges d’une fabrique locale (Locoal), le goût des bonnes choses et la tristesse de l’inaccompli.
Ombres chinoises toujours et encore, l’envie d’un dernier verre avant l’oubli me titille et je frime entre dernier bisou aux joues tendres et chaudes, ultime rangement de fin de journée bric à brac, pensées anxieuses ou rêveries vaines.
Les faux-semblants s’accumulent, les touché-coulé des jeux de l’humour et du hasard, je tangue et balance entre insouciance et effets de langue. Ou l’inverse.
Et je m’en veux. Et je tripote mon indécision avec la plume acérée de Kaa en pleine tentative de séduction. Mais le ciel vespéral me nargue de ces teintes doucereuses parsemées des courants froids de la bise printanière. Les saints de glace, ils ont ça aussi en Savoie ?
On pourrait se méprendre et tenter un dernier verre en terrasse, tant les lueurs ressemblent à celles d’un mois de juillet finissant. Une étoile commence son boulot de guide nocturne, les branchages frémissent, la lune doit être là, quelque part, fine et brillante dans le firmament encore déserté. Ou bien elle se fait belle, tapie à l’Orient ou se repose, déjà éteinte au couchant.
Chacun s’est maintenant glissé dans les bras de Morphée, les esprits valsent ou transpirent en d’autres lieux et songes, tout est calme, je respire. Les souvenirs fugaces des épines du jour ne lancent plus ma peau que de vagues mémoires hirsutes, je peux enfin reprendre en sa dernière halte le chemin tranquille ou houleux de mes complaintes passées.
L’entraide ou les reproches, les vagues de dégoût ou les vastes plaines de batailles inachevées, tous ces êtres de chair et de sang malmenés par la haine et la cupidité se dressent tels des fantômes, vacillantes silhouettes que l’horizon avale et enterre sans regret en une ligne parfaite.
Je suis seule à présent, dans le rectangle parfait de lumière bleutée, parlant aux passagers clandestins de ma vie, aux figures aimées si bien dissimulées aux replis de mon âme. Le bleu gris tant chéri encadre mes pensées d’une douceur bénie, personne ne l’atteint, nul ne peut le détruire. L’univers m’appartient, me suffit de le dire. Les ombres sont amies, les pénombres reluisent d’une infinie brillance qui me guide et protège.
En d’autres temps peut-être, j’aurais pleuré, gémi, mais ce soir grâce au ciel, aux fleurs et aux chimères, je peux enfin goûter le silence et la paix.
Merci.