jeudi 16 avril 2020

15.04.20 - au soleil couchant



Ok, y aura pas de wagon plombé ni de rafle en plein mois de juillet. On pourra continuer à croire, ou pas, en des messies ou des pythies, des gourous ou des shamans. Et aussi partager des idées lénifiantes ou subversives, déblatérer à l’infini sur les déboires et les succès, se gargariser de belles actions ou se taire. Tant que la route sera libre pour y marcher, même pour une seule heure et pas au-delà des mille mètres réglementaires, ça ira. Les ailes rognées, les pieds salis et les mains moites, on survivra. Sans se plaindre.

Mais quand même, les jardins taillés au ciseau, les allées bitumées javellisées et toute la cohorte de voitures propres rangées dans des garages aseptisés, ça m’angoisse. Et aussi les appels à l’ordre et les regards en biais quand je passe devant certaines fenêtres, ça me stresse.

Je voulais du sourire et des éclats de bonheur à chaque coin de journée, je croyais que demain serait plus merveilleux qu’hier, j’espérais voir éclore les mille graines semées au fil du voyage en un magnifique bouquet de lendemains pétillants, et puis là non, en fait, ne pas faire de plan, ne plus émettre la moindre idée, surtout ne pas monter en neige légère les œufs précieusement ramassés au poulailler de mes envies. 

Mais plutôt repasser les craintes, plier les faux-semblants bien propre selon les pointillés, timbrer bien léché les enveloppes du destin pour qu’elles parviennent au grand ordonnateur en temps voulu et heure impartie, afin de participer au Tout puissant et universel.
Et aussi expliquer aux enfants que non maman n’est pas triste, juste très inquiète de les aider de son mieux (qui n’est parfois pas assez, je le sens bien) à grandir dans un monde qu’elle ne comprend plus. Si tant est qu’elle l’a un jour capté dans son entière étrangeté. Mais ça c’est le conte de la mille deuxième nuit, il est pas écrit en fait.

Alors vaille que vaille s’arrêter après la maison hideuse abritant les parfaits citoyens lambda, détourner le regard et les pensées de leur pitoyable pavillon et sa pelouse au cordeau, leur présenter un dos vouté et des épaules un rien avachies, mais lever le regard vers les tendres verts du chêne centenaire qui leur masque le levant et les abrite des vents d’hiver, et attendre le chant du rouge-gorge qui ne va pas tarder à saluer les derniers rais de soleil de son savant chant de joie.

Voilà, la Nature nous rassure, nous protège et nous guide, si on sait la voir, la laisser nous montrer, lui permettre d’exister. Remercier les ramures, les enchevêtrements du lierre et l’enlacement du gui, le vol de l’hirondelle et les pointillés des derniers insectes, là dans le contrejour d’un crépuscule divin.

Et retourner tranquille, toujours triste mais tranquille, resserrer les étreintes, raviver le désir.
Pour demain one again, same player etc.

mardi 14 avril 2020

14.04.2020 – 7h06 - et ça continue



Et voilà c’est reparti pour un mois de plus à tourner en rond dans nos maisons. Sans les trois petits chats c’est moins rigolo. C’est pour la bonne cause et on va pas se plaindre, ça fait plus de six semaines, deux mois presque qu’on s’est rendu compte de notre chance d’habiter une chouette maison dans la campagne patin couffin.
C’est juste un sentiment d’impuissance et d’inutilité qui me mine parfois, de plus en plus souvent. Comprendre que les actions, les gestes et les pensées futiles de la vie quotidienne vont encore avoir autant d’importance pendant des semaines, c’est ça qui me mine intérieurement. J’essaie d’échapper à ces réflexions bouclantes sur ma propre vie en pensant à d’autres qui n’ont rien, surtout ne pas penser à ceux qui ont trop, car alors la colère monte et c’est pas mieux.

Je revois aussi sur mon écran intérieur toutes les situations des derniers mois et la tentation est grande de voir en quelques unes les prémonitions de ce qui nous arrive. Le 31 décembre passé à comater dans une chambre d’hôtel en regardant des films de Noël américains à l’eau de rose, la soirée de la St Sylvestre commencée à reculons qui s’achève en dansant à trois heures du mat’, les allées venues incessantes entre travail et procrastination, les découvertes de l’état civil et les balades en bord de mer, pour finir sur ce séjour improbable à 150 km du début de la pandémie en Europe.
Toutes les pensées d’alors, tous les sentiments mitigés et anxieux de ces temps pas si anciens me remontent à la tronche et j’ai du mal à faire la part des choses entre ce que je vivais alors et ce qui m’est donné à voir maintenant.

Mais bon, pas de tergiversations, au boulot.

***

22:46 – c’est l’heure où la  peau tire et les rides se creusent. Enfiler un nouveau t-shirt, manches longues pour se préserver de la fraîcheur de la nuit. Entrouvrir la fenêtre pour connaître l’humeur du ciel et la teneur de l’air. Ne  pas se laisser impressionner par les possibles bestioles qui ne manqueront pas de tenter leur chance de ce côté du carreau, ignorer les hululements farouches du début de nuit.
Et enfin assouvir les pulsions et laisser les flots de mots creuser le lit du torrent intérieur.
Usurper à l’actualité fétide la lumière des pensées ultimes, ne plus tergiverser face à l’urgence de dire, exprimer et remettre en lumière les réalités trop longtemps laissées dans l’ombre des doutes et des ignorances.
Donner à lire, à frémir, à jouir. Ne pas laisser un seul lambeau d’incertitude, une seule trace de mépris, pas même un infime susurrement d’ineffable.
Et vivre.