vendredi 22 février 2008

2 octobre 2007

Je suis lente. Le temps est mon ami. Je le regarde glisser entre mes doigts, tels les innombrables grains de sable de l’immensité du désert.

Je suis confiante. Je sais qu’il restera toujours au bas d’une dune, au creux d’une oasis, les quelques grains du temps qui me permettront de savourer encore la douce fuite du sablier.

Je suis rapide. Je lutte contre le temps qui file entre mes doigts, je me bats à chaque seconde contre l’angoisse de voir soudain le dernier grain m’échapper et m’entraîner dans sa chute ultime vers les profondeurs d’un gouffre infini, le trou noir de ma raison, l’engloutissement de ma conscience.

Je suis tranquille. Je sais en moi la présence tendre et apaisante d’une bienveillance attentive et prévenante. Je donne au monde mon regard confiant ; la nature le ciel et tout ce et ceux qui m’entourent me portent et me soutiennent pour une vie harmonieuse et sans appréhension. Je suis aimée.

Je suis angoissée. Ouvrir les yeux sur le matin est aussi inquiétant que les fermer face à la nuit qui vient. J’appréhende les hommes, l’air et le feu, les montagnes comme la mer ; tous les éléments me sont hostiles. J’étouffe en hiver, je grelotte en été. Les émois du printemps me harcèlent telle une torture de l’Inquisition, les douceurs automnales m’infligent les sévices de geôles démoniaques. Je ressens aux tréfonds de mon être la poigne harcelante d’une bête ignoble qui ronge et racle et rogne, me dépèce par l’intérieur de toute parcelle de vie, d’énergie, de force. Je suis béante, privée d’amour.

Je suis allongée, je m’étire et mon corps est long.

Étendue dans un pré, chaque parcelle de ma peau en contact avec le sol est le gué où migrent les millions de sensations, de cellules et de phéromones qui forment ma relation à l’herbe et ses habitants. Je suis tout entière une infime particule d’une des innombrables frontières entre terre et atmosphère, un minuscule point des immensités qui se côtoient et cohabitent depuis la nuit des temps.

Blottie sous ma couette, je peux connaître la volupté de la fraîcheur des draps à mes pieds en même temps que la douce chaleur du molleton enveloppant mes épaules. Je touche du bout de mes orteils l’extrême trame du drap, la ligne discrète qui sépare celui du dessous de celui du dessus, le bord plus frais où l’air ne s’est pas encore réchauffé d’un contact humain. J’effleure de la paume de mes mains dépliées le bois tendre de la tête de lit, je m’y appuie doucement, savourant cette sensation d’échange entre deux organismes vivants, mon être et le pin émigré de Suède. Je me remémore les tendres étreintes passées où mon appui s’est fait soutien d’un corps pénétrant le mien en souples ondulations.

Je suis debout. Mes muscles et mon squelette portent mon être vers l’infini du ciel, gardant par la plante de mes pieds le contact avec les origines terrestres. L’immensité des nues me rapetisse vers le sol, mon organisme, tassé et ramassé au ras des pâquerettes, s’efforce d’offrir à la grandeur céleste le plus grand nombre possible de neurones et autres fibres cérébrales, du plus près qu’il se peut concevoir, afin de toucher si possible, d’effleurer au moins, d’espérer en tout cas … la connaissance d’un ailleurs.

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