samedi 18 mars 2023

17.03.2023 - Remettre au vague son regard

 


Laisser gagner la brume qu’on repoussait vaillamment à l’heure de se lever. Remettre au vague son regard, ne plus chercher la précision, l’exactitude, où tout est net mais incertain de tant d’inconfort, de détresse. Larguer les amarres mentales, ne pas donner prise aux pensées claires et décisives. Loin dans le flou des idées improbables, par-delà certitudes encombrantes et élans trop énergiques, guetter l’errance qui nous emportera si on lui donne la main, confiant·e, apaisé·e de ne plus lutter.

Les mots ainsi reviennent pour dire les âmes qu’on croyait perdues mais qui toujours sont restées là, tapies dans l’ombre, silencieuses dans leur fausse absence. Les phrases se forment au hasard – qui n’existe pas - et recouvrent les lignes d’un trait fin soufflé par le temps dans le secret de la plume. La main retrouve souplesse et force pour puiser, dans les liens qu'on croyait brisés, l’énergie de dire - les monstres affrontés, les démons combattus, l’ironie d’un sort vécu comme injuste alors qu’il fut magnifique en bien des instants. 

Retranscrire cette époque, douloureuse et complexe, c’est un peu comme repartir en voyage sur une terre jadis arpentée, dont on aurait perdu la carte mais qu’à chaque pas, à chaque détour de rue, de champs ou de village, on croit reconnaître pour y avoir vécu, passé, pensé, un jour, une année, une vie.

Les fleurs légères du bouquet d’anniversaire tremblent doucement au-dessus de la théière, bercées par les volutes de chaleur qui s’en échappent encore. Tout à l’heure le café et les heures d’éveil auront vaincu l’état de somnolence diffuse qui régnait il y a peu sur mon esprit engourdi. Comme les pétales vaporeux – quelle est cette espèce de plantes à l’aspect soyeux du pissenlit prêt à laisser s’envoler sa future descendance ? – sensations et perceptions vibrent sur la page, voici qu'advient ce que je dois écrire, faire et transmettre. Du village, de l’histoire de P. et ses amies, ses amours peut-être, en tout cas leur souvenir.


vendredi 3 mars 2023

E-mail au petit matin

Et maintenant j’ai plus le temps

D’écrire de dire

Ni même d’en rire

De ce stupide “attends regarde pas encore retiens toi n'y va pas tu devrais rester là

Compter les jours regarder l’amour

De loin sans y toucher

À peine susurrer effleurer mais surtout pas penser

Que demain tout à l’heure tu vas saisir ta chance la beauté et l’éclat du jour qui bientôt s’enfuit

Alors reste en bas-fond triste sort soupente de l’oubli du non-dit des sous-titres du sublime enterré bien profond sans en rajouter“

 

Elles ont filé les minutes elles ont passé les heures

L’horloge sonne le jour se lève un enfant parle une porte claque

Il n’est plus temps.

jeudi 2 mars 2023

Entraves au bien-être




 Ma maison est un vaste bordel, un amoncellement de souvenirs, de projets non aboutis, de beaux objets et d’inutiles vieilleries, de traces du passé et d’outils d’avenir – dont certain·es, comme les livres, peuvent être les deux à la fois.

Mes Uggs sont vieilles et fatiguées, quinze hivers les ont déglinguées, mais les enfiler - ne serait-ce que les regarder, posées dans l’entrée - m’est d’un grand réconfort : je sais qu’à tout moment, pour affronter le froid qui attend derrière la porte frappée par le vent du Nord, je pourrai les chausser comme une paire de pantoufles et, allant au jardin ou tout le long de la prochaine balade en forêt ou bord de mer, garder au cœur de la peau de mouton un peu de la chaleur de mon salon. Amis laineux d'Australie, paix à votre âme et merci, vous n'êtes pas morts pour rien.

Une dernière bouchée du gâteau de dimanche, quelques miettes plutôt, le fond de la tasse de café puis de tisane pour reprendre forces et goût à cette journée qui n’en finit pas de bifurquer entre choses prévues et rendez-vous attendus, espoirs déçus (refus de la bourse SCAM, pas de déjeuner avec de vieux ami·es, trouver le bon endroit pour marcher un peu) et les nouvelles pas très joyeuses du fiston qui galère, la vision d’une construction qui achève de défigurer un quartier, un jardin, un paysage aimés depuis l’enfance.

Les entraves au bien-être sont multiples et lourdes pour mon cœur en errance, toujours ce sentiment de ne pas savoir comment accepter les aléas, l’incertitude et les difficultés à trouver la bonne place – à moins que j’y sois déjà ?

Le gâteau terminé, la page bientôt remplie, une boule de papier alu froissé dans la tasse vide, le soleil sur tout ça perçant depuis le milieu des nuages chassés à travers le ciel bleu par le vent du Nord, froid comme mes pensées.