1.02.2023 –
page de cahier 21x29.7 rayures Seyes -
avec le plume Waterman trouvé dans les affaires délaissées de P.
Au matin dans le calme de la
maison vide – père et fils aîné partis avant le jour, le cadet dort
encore ou débute son mercredi bien au chaud entre couette et manga - lire les
dernières pages du journal d’installation de Françoise R., doux mots d’arrivée
dans sa nouvelle vie, un village inconnu, des gens à apprendre. Pas eu le courage d’en savoir plus
du monde, une heure déjà que je suis éveillée, voire un peu plus si je compte
les minutes d’aller-retours entre bribes de rêves et conscience d’être ici. Une
épopée entre souvenirs défraîchis et traces tangibles du passé, des livres très
poussiéreux, des gens incompris – incompréhensibles ? – des lieux connus
et d’autres fraîchement découverts, je ne sais plus. Cette impression diffuse
depuis plusieurs mois que rien ne sert de se rappeler au réveil, encore moins
de noter, ce qui a peuplé la nuit, est remonté à la surface de ma conscience, a
surgi pour m’apprendre quelque chose, me révéler un secret ou me donner la clef
de toutes les portes que je trouve fermées en journée (l’écriture, les gens,
encore, la raison d’être ou l’envie d’avancer – vers quoi ?).
Un papier publicitaire, plié comme
en début d’origami, tombe du fauteuil où je tente de trouver une position
confortable pour écrire tout ceci (accoudoir trop serrés, ou est-ce moi qui
prends plus de place, ai-je grossi à ce point ?). La vision de la page
bientôt recouverte de mes gribouillis, la notion du temps qui passe et efface
les velléités de devenir écrivaine (autrefois je pensais avoir toujours la même
énergie, aujourd’hui je vois qu’elle s’est transformée en maturité, mais les
mots murmurés et les histoires inventées en mon for intérieur ont bel et bien
disparu).
Le jour s’est levé, mon enfant
dort encore, et je regarde la feuille qui va bientôt rejoindre les dizaines d’autres,
patientes et inutiles, dans les boîtes les tiroirs les malles de ma vie. Comme
le ciel en perpétuel changement (aujourd’hui en cavalcade grise entre les
arbres et les toits voisins), mon esprit va et vient entre espoir, certitudes
et doutes, bientôt renoncement ? Je ne sais plus si, de continuer, de
tenter d’achever au moins un texte, de persévérer dans d’autres directions ou
de commencer une nouvelle aventure, laquelle est la meilleure option à
prendre ? Voilà que je parle comme un·e stratège, un·e
régatièr·e
ou un·e
business-wo·man,
quelle horreur. Quid des ressentis, des invitations
impérieuses et des signes de l’univers ? Le doute, toujours cet affreux
doute, couplé à la honteuse lenteur à triturer mes pensées, à envisager de me
lancer dans le vaste chantier d’un texte et un seul (La Trinité disparue,
Chemin d’écriture, L’un d’entre nous, La maison du n° 17, etc. ?) pour enfin
l’écrire entièrement, le peaufiner, le lécher jusqu’à avoir la langue toute
sèche et le palais idem, ne plus sentir ni doigts ni neurones transmettre l’influx
magique, savoir qu’il est prêt à garnir les tables de libraires et se laisser
savourer - ou dénigrer - par un lectorat inconnu ou familier.
Les moineaux ont repris leurs éternels
bavardages dans la haie le long de la terrasse, je les distingue nettement à
leur babil un brin strident, sans pouvoir les regarder réellement dans les
ramures enchevêtrées qui ont cessé d’onduler dans le vent. C’est étrange, je
leur porte attention et ils s’arrêtent de piailler, le ciel lui continue son
charroi de nuages gris blanc effilochés, si je reprends le flux du stylo eux
aussi se remettent à discuter. Le téléphone me fait signe, un message
tendre et quelques notifications que je prendrai le temps de consulter plus
tard, heureuse que je suis d’écouter cette voix intérieure et surtout d’avoir
le temps et le calme nécessaires pour lui donner vie de papier. Peut-être
inutile encore, cette séance d’écriture, bien qu’inconfortable et comme volée
au temps, m’apaise et pour tout dire me soulage de l’impression désagréable de
n’avoir rien créé, pas avancé d’un iota, depuis bien longtemps. Si je reprends
le fil des agendas et des documents enregistrés, je sais bien que je trouverai
des dates proches, à une dizaine de jours max., mais toujours ce sentiment
d’incomplétude et d’inachevé me harcèle. Comme une pathologie dont aucune
médecine ne pourrait me guérir, je crois entendre plusieurs voix me
houspiller : « de l’exercice que diable, ne te laisse pas
aller ! »… et c’est vrai que l’acte lui-même, là, maintenant, est une
preuve de cette capacité que je ne dois pas renier, de cette force qui
m’habite, dont je ne dois pas avoir peur, de ce désir de raconter qui saura
bien un jour être plus fort que mes réserves à le laisser s’exprimer enfin.
Donc, au boulot, sans fléchir…
retourne à l’ordinateur !
Hasta luego, mi amor !
***
La création, ce truc étrange qui
fait sortir de l’ombre d’une longue nuit de ressentis, d’oublis ou d’ignorance,
les évidences et les récits qui la peuplaient en se cachant, la possibilité
d’un ailleurs, d’un autrement, d’autres gens qui sans moi ne verront pas le
jour, resteront tapis bien profond mais ne cesseront de creuser ronger abimer
mes entrailles, pensant ainsi pouvoir sortir à la lumière et dire au monde leur
réalité. Plutôt que les laisser me gangréner
de l’intérieur, je dois me pencher sur le gouffre où ils sont reclus, leur tendre une
main secourable, les hisser à la force de mon esprit vers le haut de ce puits
sans fond qu’est mon cerveau légèrement corrodé par les années d’errances
inactives ou tavelé des coups et blessures de la vie – pour leur offrir
naissance.