mercredi 10 janvier 2018

oups trois ans ont passé

coucou de la nouvelle année...
je viens de retrouver ça, pas très fière de moi en fait...


"Moi ce que je fais c’est pas important.
Ça prend quelques  heures dans une journée mais c’est pas ça qui fait tourner la boutique, comme ils disent.
Tu vois rien que ces deux phrases, c’est déjà toute ma vie, on pourrait s’arrêter là.
Oh bien sûr, y en a qui vont trouver que j’exagère, bien calée devant un ordi portable, avec le poêle qui ronronne à côté et tout le confort d’une maison bien équipée et tout et tout.
Et que les deux mômes qui viennent – enfin – de s’endormir là-haut, je les ai bien voulus, donc j’ai pas à me plaindre.
Et que d’autres se font taper dessus, sont obligées de porter un voile pour sortir dans la rue et n’ont pas le droit de dire ce qu’elles pensent, du moins pas à n’importe qui.
Ou bien que je fais la fine bouche mais j’ai qu’à pas gamberger autant, passer l’aspirateur et étendre des lessives en essayant de suivre la scolarité d’un lycéen et de comprendre les subtilités d’un jeune adulte presque autonome sont pas des activités si prenantes après tout.
Sans parler des deux plus jeunes, on y revient toujours, comme à chaque instant de la journée d’ailleurs, ils sont mignons quand même et pas encore déformés par la télé ou une console vu qu’il n’y en a pas chez nous.
Après tout je pourrai simplement me fondre dans  la masse informe des ménagères de moins de cinquante ans, faire mes courses le samedi matin avec les autres bobonnes et aussi me laisser aller au lèche-vitrine tant qu’on y est…
En fait mon problème, c’est d’avoir bossé toute jeune dans des agences de comm avec des sociétés de production audio-visuelle qui vous font passer l’envie de regarder un journal télévisé. Les trucs de montage, les paramètres de budgétisation d’un reportage m’ont très tôt appris à être vigilante sur ce qu’on essaie de nous faire ingurgiter sept jours sur sept, H24 comme on dit maintenant.
Pour le commerce c’est pareil, j’ai arrêté d’acheter de fringues le jour où j’ai tenu ma propre boutique ; comprendre le fonctionnement des grandes chaînes de prêt à porter m‘a vaccinée sans besoin de rappel décennal contre les virus des dépenses vestimentaires, sans parler de la mode qui n’est plus qu’un vague souvenir dans ma mémoire forcément sélective.
Y a que pour les journaux et les bouquins que j’ai jamais pu m’arrêter. Va comprendre. Les mots imprimés c’est pourtant pas grand-chose, une fois lus on n’en fait plus rien, ça prend de la place sur les étagères et parfois même on a du mal à s’en débarrasser à moindre effort et surtout sans scrupule – quoique le recyclage du papier a beaucoup  progressé en quelques décennies.
Bon bref, ma vie c’est pas vraiment ma vie en fait. J’aime mes enfants mon mari ma maison mes copines et mon boulot aussi quoique depuis quelques temps je me demande un peu – trop souvent – à quoi je sers dans la chaîne, d’autres que moi le feraient certainement beaucoup mieux et je pourrai faire autre chose à la place, comme écrire.
Mais voilà quand je dis ça évidemment ça fait léger, une mère de famille de quarante-cinq ans comment voulez-vous qu’elle gagne de quoi nourrir sa progéniture en écrivant si elle n’a pas fait Normale Sup à vingt ans ou travaillé dans plusieurs médias tout en se farcissant un rédac chef trop attentionné pour son décolleté ou tout bonnement eu des parents aussi cool que M. et Mme Sagan (je sais c’est pas son vrai nom, merci Anne Berest de m’avoir éclairée à ce sujet l’an dernier).
Bon voilà où j’en suis,  à me morfondre sur comment ne pas devenir dingue ou bêtement idiote à ressasser mes litanies de mots, phrases, paragraphe, chaque soir en m’endormant, chaque matin essayer de me souvenir de ceux de la veille, parfois arriver à en coucher deux trois sur un papier ou un clavier…
Suprême torture, la tenue sporadique d’un blog où je pensais il y a bientôt dix ans décharger au vu et su de celui ou celle qui aiderait ces textes maladifs à voir le grand jour – à la relecture de tous ces posts j’ai la nausée, qui peut bien vouloir éditer ces propos-là ? Non, il faut, comme l’a si bien décrit Virginia Woolf, du temps, de l’argent et un espace privatif (« money and a room of one’s own »)."