samedi 17 juin 2023

sept jours huit nuits à Groix


 
10.06.23
Le médecin de village qui ne voit pas
La masse qui se forme dans la vessie de ta maman
Près de là où tu as dormi neuf mois
Y a un truc qui déconne
 
La vieille dame qui dit
Vive la peine de mort
Quand des enfants perdent leur sang
Sur la pelouse du Paquier
Quand elle a tant vécu 
D’haine et de trahisons,
Y a quelque chose qui s'éteint.
 
Le père qui crie et frappe
D’autres enfants que le sien
Et fait périr l’amour
Sous les fenêtres d’un préfet
Qui l’hiver fait la neige tomber
Des canons pour les nantis du ski
Qui l’été font trempette 
Dans leur piscine 
avec vue sur le lac
Y a un truc qui me dérange
 
Loin du monde stérile anonyme et exsangue
Je me suis retirée, telle la mer en mortes eaux
J’attends le flux qui monte
Il reviendra c’est sûr
Mais serons-nous toujours
Au bord du rivage ?
 

J’habite dans la beauté du jour

Groix c’est trop beau

Pour moi 

Je n’ai rien mérité

Ni l’aigrette ni la mer

Ni les jours qui se lèvent

Entre pointe de l’enfer et phare des Chats

Je n’ai rien mérité et pourtant je suis là

Soleil et pierres levées

me font un doux réveil

D’où je peux contempler

Mes espoirs et mes peines

 

Je m’étais assise au bord du chemin, à l’ombre et dans le courant d’air frais qui monte du ruisseau en contrebas, juste avant la grande montée en plein cagnard.

Le temps de m’installer confortablement, les lapereaux ont repris leur danse effrontée au milieu du sentier, sortant des fourrés et s’amusant à se pourchasser - est-ce vraiment un jeu, ces sauts et ces courses effrénées ? Nous appliquons toujours notre vision d’humain bouffi d’orgueil sur les mouvements des vivants autres que nous, mais que savons-nous du sens réel d’une envolée de moineau, des ondulations du blé dans le vent ou d’un chassé-croisé d’hirondelles dans le ciel ?

Les araignées elles aussi se sont réemparé de l’espace que je leur emprunte, me piquant au hasard jambes et bras dénudés.

Est-ce un salut, une colère, juste une existence qui se manifeste sans façon ?

Là-haut les avions tracent toujours leurs droites qui deviennent courbes puis s’évaporent en stries légères vers le firmament.

Les cornouillers agitent tranquillement les ombrelles de leur floraison, faisant au ballet des réacteurs un bien joli premier plan. Quelques papillons ajoutent leur touche colorée à ce tableau de la vie la vraie, celle qui court à bas bruit sur l’île et partout où l’homme ne peut que parcimonieusement et très brièvement (bonheur !) laisser une trace de sa présence.

Merci, je reprends ma marche vers d’autres moments tranquilles, espoir.

 

Et tiens ! Pourquoi pas rester là, sous l’onde légère qui frémit dans les peupliers ? Avant de les distinguer au détour du chemin, j’ai cru entendre l’eau d’un ruisseau tumultueux. Étrange en ce printemps aride... d’ailleurs la fontaine bien sèche me confirme peu après que ce doux bruissement ne provient pas de l’eau mais du vent dans les feuilles. Ô douceur.

Le vol transatlantique qui tente de supplanter cette jolie mélodie dans le ciel éclatant n’est qu’une brève parenthèse sourde à l’harmonie heureuse et chatoyante que procurent les branchages.

La trace éphémère des réacteurs relie d’un pointillé vite effacé les arbres espacés en quinconces.

Merci, again.

 *

11.06.23 
Oui les canards vont sur la mer
Avec eux elle monte et descend
Au rythme lent des jours qui passent
berce les coques et les rochers
 
Les uns regardent les autres partent
 
Le matin au jardin
Devant le port si calme
On entend en coulisses
Comme l’ouverture d’une symphonie
 
le goéland qui s’essaye à parler
Voix un peu éraillée des agapes d’hier
Un roucoulement de tourterelle
timide dans le fond
Quelques trilles, des volutes
de notes lancées dans l’air léger
De cette fin de nuit
Ce début de journée 
 
Mais déjà les humains s’affairent
Un coup de pagaie
Un éclat de rire
La nuit s’est tue
Jusqu’à demain.

*

Je ne noterai pas ici 
Le bateau au petit matin
croisant dans le chenal
celui parti de nuit
qui déjà rentre au port.
 
Je ne compterai pas non plus
Ni ne conterai d’ailleurs
les bouées encore amarrées 
Et celles par leur esquif délaissées
 
Je ne dirai pas encore
Les couleurs changeantes
À chaque seconde plus intenses
 
Sans nuages le ciel éclaire.
 
Je regarderai juste
la majesté d’un coup de godille
L’arabesque d’un vol de mouettes
La douceur de cet air tranquille
 
L’éternité sous la lune pâlissante.
 
Il n’y a personne pour écrire ça
La beauté simple des jours qui passent
Se ressemblent s’assemblent et se défont
Dans le tourment de nos mémoires.

 

Le sentier serpente entre champs de foin coupé la veille et jachère fleurie qui finit de faner. Une femme, seule. Bras tendus vers le sol par la charge des paquets. Sa démarche hésite, ses talons lui font mal, ou elle a trop chaud dans son jean ajusté. Son sac à dos arrimé de traviole lui vrille l’épaule gauche et soumet sa posture à une impossible flexion entre nuque et coccyx.

Les femmes sont toujours seules quand elles portent les courses. Quand elles marchent dans la rue, quand elles reviennent du sport, quand elles cherchent leur mari. Peut-être quelqu’un les accompagne, prend sa part, même, des fardeaux ou soutient le rythme à tenir, mais dans leur tête elles sont seules. Avec leurs pensées, leurs doutes et leurs espoirs. Personne ne sait, vaut mieux pas d’ailleurs. Des millénaires de questions, des générations d’emprise, plusieurs années-lumière d’incompréhension. L’espace-temps est vaste pour celles qui marchent depuis toujours, vers où ? Le meilleur d’elles-mêmes, croient-elles, la solution à tous leurs problèmes, elles l’espèrent, l’ultime bataille avant le repos, pour les plus rêveuses.

 

 

Pauvres gens qui passent devant le port sans regarder la mer le ciel et la beauté du jour, parlant d’assemblée, de président, de courbes de croissance, de gestion des ressources. Pauvre monsieur en short et t-shirt noir, même ses baskets sont en deuil. « profitez bien » me dit le businessman - de ma journée, du paysage ? Je veux juste contempler, merci

Pourquoi quand je me mets à réfléchir au sens de « profitez bien » une côte se présente au détour du chemin et en rythmant souffle et pas sur les marches naturelles ou créées à mains d’homme depuis des siècles en ce bord de mer façonné par les tempêtes, je vois bien là encore une synchronicité un hasard qui n’en est pas.

J’en étais à « je préfère contempler » le correcteur ortho, lui, souhaite que je répare ou que je contrôle. Ok mais non, les mots ont leur importance, dit celle qui les affronte les triture les choisit les observe et les prend les retourne les utilise tels les outils qu’ils sont bel et bien.

Kiffer l’étymologie ça ne s’invente pas ça se travaille.

*

12.06.23

Ici tout et rien ne change
La lumière le chant des oiseaux
Le sourire de la voisine qui bonjoure 
ses fleurs à grands jets d’eau scintillante
Le profil attentif du pêcheur en partance
La masse sombre au loin des rochers bientôt recouverte 
des miroitements d’écume.
 
Ici tout est calme et profus 
de mouvements 
ténus comme une risée 
Fugaces comme l’envol de l’aigrette 
Magique en tout moment.
Merci.

 

La femme qui marche dans l’eau en tenant dans ses poings serrés le bas de sa robe défraîchie, on voit dans ses jambes toutes les années de monter descendre les escaliers de l’immeuble ceux du métro et les kilomètres entre le boulot les courses l’école des petits en allers retours depuis tout ce temps ça doit bien faire le tour de la terre. Peut-être même plusieurs.

*

14.06.2023 – après une discussion tél

En fait c’est ça qui se passe
Cette incapacité que j’ai
L’inaptitude aux gens
L’emportement qui me prend d’un coup d’être en phase
Mon monde contre le leur, de plein fouet
Un mur
Dans ma gorge un gros parpaing
Une gifle en pleine face
 
Les larmes montent le souffle coupe
Ça serre le ventre et envie de ch...
La trouille
Finir toute seule entre quatre murs les mains liées 
ou les neurones par une camisole de tissu ou de cachets.
 
Devant l’écran au téléphone dans la cuisine sur le marché
À chaque fois pareil
Plus ou moins dense peut-être avec une certaine 
légèreté voire en douceur mais à tout moment 
ça peut survenir 
Ce sas dans lequel je dois rentrer pour ne pas éclater
Cette bulle que je me construis vite fait pour ne pas 
disparaître retourner au néant détaler 
fuir tourner le dos.
 
Juste après quand j’arrive à sourire à reprendre le fil 
les choses peuvent être tendres, presque.
 
« On n’est pas sur la même longueur d’ondes. » 
Plutôt on vient de se croiser, on n’allait 
pas dans la même direction, ou pas avec la même énergie.
 

Les gens, cette entité mystérieuse. Tu crois être aimable, souriante et à l’écoute, tu te heurtes au déni de tes sentiments. Chacun dans sa tête, le cœur en bandoulière mais pas toujours sur le devant, bien souvent il est mis de côté, sur la hanche ou carrément derrière en appui sur les reins, dans la petite sacoche qu’on a fabriquée depuis l’enfance pour le planquer aux regards inquisiteurs, malfaisants ou pervers. La barrière des bras et les mouvements du corps le gardent à l’écart, chacun·e se protège, tout le monde a le droit au retrait.

Moi mon cœur je le porte en écrin, il se blottit sous mon ventre, entre la petite trace de l’appendicectomie et la place où la peau est si douce, en descendant vers le plaisir camouflé plus bas. Mon cœur il palpite que tu le découvres et lui dises bonjour. Mon cœur il est au bord de mes lèvres quand je te souris, il est au creux des petites rides quand mon regard s’éclaire, il bat un peu plus fort de te regarder le reconnaître.

Alors quand tes paupières battent du refus d’être là, quand ta bouche argumente que je n’ai pas compris, quand tes gestes me disent ton désaccord, quand ton corps s’en va dans l’incompréhension, je sens se recroqueviller l’enfant que j’ai été, à tout petits pas elle se cache, en elle-même elle enroule tristesse et peur, et elle pleure doucement. Avec le temps elle a appris à me tenir la main, à quand même m’aider à ne pas m’écrouler. Je lui serre les doigts, elle me répond d’une chaleur diffuse qui m’aide à terminer, vite, à m’en aller, loin.

 

15.06.23- avant l’étale de basse mer

Le bruit léger de l’anneau qui tinte contre le quai. Un roulement mat pointillé d’à-coups brefs, la prame est portée-roulée jusqu’à toucher l’eau, petit glissement et, le temps qu’une mouette plane  un instant au-dessus de lui, l’homme a déjà godillé sur près de vingt mètres. Un silence voile le port, où est-ce une légère brume qui monte avec le soleil levant ? Les marins s’interpellent, l’un va saluer l’autre :

-          je t’attends ou on se retrouve aux Chats ?

L’heure est à la minutie de gestes vite exécutés, les autres sont déjà partis, l’aube les a sûrement trouvés devant les Sables Rouges,

-          dépêche-toi donc !

-          C’est ce foutu moteur, c’est comme à la maison hier soir, y en a qui ne veulent rien savoir.

Échange de regards par-dessus les listons, une tête se penche sur son Evinrude, l’autre en quête d’infos, il va falloir attendre. Les paroles se font brèves :

-          Viens alors, monte, tu me raconteras.

-          C’est pas pareil tu sais bien, je vais t’embêter, en plus je vois l’Arthur qui se pointe, t’avais prévu de l’emmener, on va se gêner à trois. Et puis de toute façon le cœur n’y est pas, je préfère rentrer, tant pis. Ramène-moi quelque chose si ça mord.

L’homme se penche à nouveau pour une dernière tentative, se relève triomphant dans une pétarade enfumée :

-          Ah bah tu vois finalement, y veut bien. On se retrouve là-bas, je vous suis.

Les sillages ondulent maintenant vers le rivage, les lignes se croisent au détour du chenal : deux pêcheurs rentrent déjà, partis bien avant l’aube sûrement. Les lueurs du levant se font lumière, çà et là des roches affleurent qui l’instant d’avant ne se devinaient qu’à quelques mouvements bruns à la surface miroitante. De longues algues enlacent à présent chaque masse de granit ou de schiste arrondie par les ans. Les soubassements de la jetée craquètent des bruissements d’algues découvrant l’air et le soleil, attirant tout un peuple d’oiseaux, de crustacés et autres minuscules organismes friands des nourritures et abris qui s’offrent maintenant à eux.

Un homme descend son youyou, certains achèvent de ranger leur canot, on se croise à présent sur la cale glissante, les bonjours fusent entre godilleurs qui bientôt s’élanceront et ceux qui s’en reviennent :

-          la pêche a été bonne ?

-          pas pire qu’hier, j’espère moins que demain…

On ne dit pas ce que l’autre risque de prendre pour orgueil ou méfiance, chacun part sans se retourner, espérant simplement continuer sa journée comme elle a commencé : dans le calme des choses simples.

*

 

17.06.23 dernier matin sur le port

Au loin on entend le ressac. Doux et puissant, la rumeur se fait berceuse, repartir dans le silence des rêves serait tentant. Les notes éparses des premiers oiseaux du jour éclatent des bulles de réalité poétique, le lancinant roulement des pigeons domine, il est temps il est temps, disent-ils doucement. Alors quitter la chaleur tendre des draps, se hisser dans l’aujourd’hui qui sera fait de rires, du tintement des verres qu’on trinque puis lave puis range entre ami·es, des moments de partage et d’étonnement de se trouver ainsi, ici, en parallèle de nos vies trépidantes, laissées pour quelques heures au lointain de la semaine.

Puiser maintenant les ondes qui se faufilent entre lignes et horizon. Remplir une page, quelques instants de grâce avant le lever de soleil, contempler l’aube laisser place au début de journée, lisser en soi les derniers soubresauts des pensées tumultueuses qui ont accompagné le réveil. Docile et attentif, mon esprit se concentre, attire pensées et ressentis pour la ronde des mots. La farandole sera jolie, j’écris.