Toute ronde, elle est apparue entre les branches des arbres, si pale et pourtant si claire dans son halo brumeux, comme une éclaircie dans une tempête de neige, comme un embrun qui raviverait les tons sombres d’un coup de suroît sur la côte sauvage.
Tout est froid, comme figé dans le début de l’hiver alors qu’on vient à peine d’entamer l’automne. Rien ne bouge, pas une feuille, pas un brin de nuage… Quelle est cette sensation étrange que la fin du monde est proche, que cette nuit peut-être tout va s’éteindre et recommencer pour une nouvelle existence ? Des êtres différents vont surgir d’outre-tombe, ou bien de la profondeur des océans, nous apprendre d’autres réalités, nous mener vers un bonheur dont nous n’aurions jamais suspecté l’existence sans leur apparition.
Tout à l’heure elle était rousse, puis quelques instants plus tard déjà blonde… A présent elle est presque albinos … Ne serait-ce ses grands yeux gris-noirs écarquillés, on pourrait la croire comme cette lapine pleine aperçue au creux du clapier chez la fermière avant-hier, elle aussi venue d’un autre monde ?
La préparation du repas puis les bavardages des enfants devant leur assiette de pâtes-jambon me sauvent d’un spleen que j’aurais bien laissé s’élever au rythme de l’astre, me soulevant de la plate réalité vers un univers flou de pensées volages, planantes et irréelles.
Les ombres chinoises des arbres du fond de la rue m’auraient servi d’échelle pour grimper jusqu’à ces mots interdits, trop inexistants puisqu’encore inexprimés…
Les fines branches du peuplier déplumé par la dernière tempête d’équinoxe auraient filtré les phrases échevelées de mon amertume, les aiguilles de pin raidies par le gel se seraient faites tricoteuses d’histoire à ne pas dormir, on aurait pu alors partir en voyage sous la couette et redécouvrir les douceurs de l’hiver quand le temps nous est donné de retrouver la chaleur de nos corps engourdis.
Mais il est l’heure de penser à regarder la pendule. Le temps ne s’est pas arrêté pour laisser libre cours à mes idées et il est déjà l’heure où je t’attends, impatiente de lire dans tes yeux le soulagement de passer la porte pour la refermer sur cette nouvelle journée de travail.
Je me fais des films sur les pensées qui sont les tiennes à l’heure où chacun rentre chez lui ou est déjà entrain de savourer la soirée en famille, ou de redouter une nouvelle nuit de solitude.
Je divague, de vision en rêverie… Les enfants ont fini leur repas et m’ont laissé la place sur la table de la cuisine… Les rayures de la toile cirée sont le parfait contraire de la vue offerte à la fenêtre : quadrillage coloré contre disque blanc sur fond noir… Sa bouche arrondie reflète mon ébahissement, mon étonnement à trouver les mots d’une façon aussi fluide pour exprimer cette douce tristesse de l’attente, ce tendre trop-plein de sentiments qui aimerait tant déborder une bonne fois et me laisser enfin libre de te consacrer toute mon énergie.
C’est un lundi soir banal de l’automne, la lune m’a rappelé depuis son coucher ce matin, quand je partais pour l’école et qu’elle nous souriait de l’autre côté du chenal, que toute cette vie est juste une grâce depuis bientôt deux ans.
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