vendredi 22 février 2008

Le 10 décembre 2007

Vingt ans ? oui, il y a vingt ans. Et après ? Qu’est-ce qu’il est censé se passer après ce chiffre rond d’années, de saisons ? Quarante équinoxes, quarante solstices, autant de semestres…

Et alors ? Est-ce qu’on est plus malin au bout du compte ? Est-ce que je ne pourrais pas écrire aujourd’hui encore les mêmes mots, les mêmes pensées qu’à l’aube des premières rides ?

Vingt ans, le crépuscule de toutes mes illusions, l’aube d’un âge désenchanté où les réveils se font déjà pâteux, hasardeux, douteux de tout dès l’ouverture du premier œil.

La pénombre de la chambre cache forcément une puissance maléfique qui va surgir et me happer pour m’entraîner vers les bas fonds dont je ne ressortirai jamais vivante.

Le premier rayon de soleil transperce l’air vicié de la chambre pour mettre en relief les traces d’une nuit de soupirs et de pleurs.

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Non, je ne suis pas en vacances, moi non plus. J’ai dans la tête des milliers de mots, des kilomètres de phrases qui n’en peuvent plus de s’enrouler autour de ma gorge, j’ai même l’impression qu’elles tissent mon linceul, un beau tissu richement ouvragé de pensées, de paroles, de non-dits, qui m’étouffent peu à peu.

Les dompter, les faire sortir de ma poitrine, les hisser à bout de bras vers la blancheur d’une page, le scintillement d’un écran, c’est un vrai travail, qui commence bien avant même que je ne me réveille, qui hante chacune de mes nuits, tous mes rêves et mes réveils aussi.

Si j’ai besoin d’une caresse, du silence ou d’un rayon de soleil pour apprécier cette nouvelle journée, c’est pour en saisir l’énergie qui me mènera peut-être, aujourd’hui enfin, vers l’aboutissement de ces années d’écriture.

Alors ne me fais plus le plan de « celui qui se lève tôt et a besoin de faire du bruit avant 9h » pour exister… Tu es bien plus que cela à mes yeux, dans le fond de mon cœur et sur mes livres aussi.

Mais si des paroles agacées ou un énervement soudain viennent heurter ma sensibilité, prendre la place de la douceur et la compréhension, alors les monstres se déchaînent en moi, j’ai une vision terrible de plaie béante, celle-là même que j’arrive à suturer si le temps m’est donné de saisir le bon fil et la bonne aiguille.


Ce matin m’a ensevelie sous les ondes négatives du mini-séisme émotif, quelques mots et toute la volupté d’un éveil sans alarme ni horaire s’est évaporée dans l’air surchargé de ton agacement.

Oui, je veux être tranquille pour déjeuner, oui, j’ai besoin de quelques dizaines de minutes supplémentaires pour trouver le moment propice où saisir mon stylo et faire parler ma main…

Oui, il me faut du silence pour atteindre la qualité d’environnement qui me permettra de mettre en ordre les pensées et les rêveries du réveil pour démarrer une nouvelle page.

Depuis plusieurs mois je me donne toujours un délai, une nouvelle échéance, mais maintenant j’ai ce sentiment d’urgence qui me saisit et me harcèle quand je me laisse aller à penser que ça pourrait être ça, mon métier, mon activité, ma façon d’être dans le monde.

Chacun doit tenir son rôle, je dois assumer la place que j’ai cherchée pendant tant d’années et que je pense avoir trouvée, là, assise avec un bloc de papier ou un clavier entre les mains.

Mais le temps défile, vite, beaucoup trop vite, m’angoisse et me panique à l’idée de ne jamais franchir le gué, ne jamais réussir à mettre en forme définitive tous ces feuillets, ne jamais fermer l’enveloppe sur quelques dizaines de pages qui diront à un éditeur tout ce qui dort en moi.

J’arrive au moment fatidique, décisif, où j’ai trouvé l’énergie, le courage de me lancer, prête à reprendre en pleine tronche, façon boomerang, le pavé qui n’aura pas plu ou paru intéressant… Espérant, quand même, rencontrer la compréhension, l’intérêt qui validerait ces années de gribouillage, de doutes et d’espoirs, d’illusions et de magie.

Peut-être en fait devrais-je te remercier de m’avoir délogée de ma quiétude ce matin, de m’avoir incitée à prendre mon vélo plutôt que mon clavier pour aller m’épuiser physiquement, ressassant les phrases pour qu’elles courent plus vite – maintenant que l’orage est passé – de mes doigts vers la page neuve.

En roulant, j’ai revisité les méandres de certaines relations, amicales, professionnelles, amoureuses… Les kilomètres se sont enchaînés sans peine, contre ou avec le vent, les roues bien alignées sur la route, je fixais les graviers qui défilent sous mes pieds, comme des millions d’étoiles filantes – mais impossible de faire un vœu, trop de vitesse, trop de graviers.

Quand le regard se porte en avant, à quelques mètres du guidon, chaque aspérité de la route est comme figé. OK, c’est là que dans quelques secondes je passerai, cette tache blanche dans le goudron va se transformer en comète sous mes roues. Un regard et c’est comme le but à atteindre, précis, immobile, soudain en mouvement, inaccessible, car déjà dépassé, à nouveau figé, là où on vient de passer, déjà loin derrière.

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maintenant, quelques heures et un bon repas plus tard, je m’enrhume doucement à regarder de mon canapé les nuages me voler les rayons d’un soleil d’hiver bien trop bas pour me réchauffer.

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Quand je pédalais sans but, l’envie m’a effleurée de me diriger vers le centre ville, un bar où me poser pour reprendre mon souffle et coucher sur le papier mon énervement, ou bien pousser la porte de l’ANPE pour les supplier de me trouver un boulot de secrétaire qui me prendrait tout mon temps « libre » et m’éviterait ainsi de rester dépendante … de quoi ? de quoi ? De moi, je pense, tout simplement, de mes pensées envahissantes et de cette inaptitude à me concentrer une bonne fois pour toutes sur ce que je dois faire, comment je dois le faire, etc.

La barrière de bruit de la voie rapide m’a arrêtée, j’ai fait demi tour au milieu de la départementale et ai enquillé la première voie communale à droite, pour me perdre entre les champs et fuir cette société de mouvement furieux… retrouver le sens de mes pensées et retourner à mon clavier.

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