lundi 24 janvier 2011

lettres à mon fils aîné

11 mai 2007


T’es comme un cri en moi, tu me défonces les tympans par l’intérieur, tu me hurles à la gorge les mots qui ne peuvent en sortir, tu m’infestes les poumons de haine écœurante et amère, tu noies mes pensées dans un torrent de boue verdâtre d’angoisse et de ressentiment.

Ton imposture m’a figée, puis ébranlée, secouée si fort que j’en suis encore à trembler alors qu’une bonne heure s’est depuis écoulée, laissant les nuages défiler dans le ciel comme pour une parade militaire, tous à l’assaut de l’Est qui est encore si clair et ne saurait résister bien longtemps à cette cavalcade de masses grises et hargneuses.

J’ai la cruelle impression que tes paroles et tes actes des derniers jours, des semaines et des mois laissés savamment passer pour étouffer mes doutes et mes inquiétudes, tout ton être donc s’est composé sur le thème du « faire croire que », donner le change et tromper tout son monde.

Qu’est ce qui me choque le plus dans tout ça ? Les attitudes et les faits, ou le constat de ma naïveté et de la malhonnêteté qui a régné entre nous durant ces trois saisons ?
Quelle est la blessure la plus profonde ? lire dans tes yeux une ultime tentative de me charmer pour encore te pardonner, ou constater qu’au pire de la tempête tu peux encore être le plus fabuleux des personnages de ma vie au sens propre du terme ?

Je t’ai créé, avec amour, ardeur, innocence et foi en une vie plus harmonieuse, je t’ai aidé à grandir, à découvrir, à devenir celui qui me tient tête et raisonne maintenant pour lui-même.
Je t’ai fait souffrir, te séparant de l’autre moitié de toi, t’arrachant à la douceur d’un nid douillet pour te greffer dans un autre cocon qui ne te ressemblait pas, qui ne t’avait ni prévu ni espéré.
Je t’ai consolé, enfin, j’ai cru le faire, tout du moins l’essayer, mais peut-être n’ai-je réussi qu’à plus te détacher de moi, qu’à toujours plus te donner l’envie de voir pousser tes ailes et enfin t’envoler…

J’ai fait aussi le deuil de celui que tu n’es pas mais que j’aurais tant voulu mettre au monde, voir m’aimer et un jour à son tour me protéger pour finir en douceur… j’ai maintenant arrêté de vouloir tout décider pour toi, je jette l’éponge et te laisse à tes idées de grandeur et de décadence, je suis lasse et ne peux plus pour toi espérer que la paix d’une voie enfin trouvée.

Je suis terriblement triste de devoir à ce point baisser les bras et remettre l’existence de ce que j’ai de plus cher au monde aux bras de la destinée, advienne que pourra, je lâche les rênes et te laisse aller, à vaut-l’eau ou ailleurs… tu sauras bien trouver la meilleure voie, puisque tu veux décider de tout, tout seul et sans nous écouter.


Je continue pourtant à t’aimer d’amour comme au premier jour, comme lorsque tu as pointé ton regard en moi après être sorti de mes entrailles, un peu vert et poilu, très intrigué par ce nouveau mode de respiration qu’on t’imposait soudain, très doux et attentif pourtant à nos présences réchauffantes autour de ton petit corps.

Je t’aime d’amour absolu et infini, depuis cette seconde où tu as été créé jusqu’à mon dernier souffle, je suis là, fière et émue de toi à chaque instant, touchée par le moindre de tes gestes, la plus petite de tes pensées…
Je ne sais comment t’exprimer cela, comment te faire comprendre enfin que c’est tout cet amour qui me porte et me pousse à te recadrer sans cesse, pour obtenir de toi le meilleur, pour te voir réaliser tes aspirations les plus hautes et surmonter les épreuves les plus douloureuses de la vie, Dieu sait combien il t’en reste à prendre dans la tronche !

Je suis là et le serai toujours, pour te guider, te consoler et t’épauler, alors je suis triste ce soir, comme bien d’autres matins ou certains après-midis où je me rends compte que nous dérivons imperceptiblement à l’écart l’un de l’autre… pourtant issus de la même chair, faits du même sang, grandis au même amour.


La nuit s’est glissée entre les nuages, mon amoureux s’est faufilé entre les draps, je suis seule dans le canapé, bercée par le tic-tac de la cuisine et le tapotement de mes doigts sur le clavier… seule et pourtant habitée de toi, de vous qui logez au plus profond de mon être et êtes chacun ma plus belle raison d’exister.

J’imagine que cette soirée n’est qu’une parmi tant d’autres, toutes celles qui me restent encore à affronter aux détours de ton adolescence et de celle de ton frère après la tienne… et pourtant j’ose espérer que c’est la plus dure, la plus douloureuse, pour pouvoir me dire que demain quand le réveil sonnera et que j’entendrai tes pas dans l’escalier, que j’écouterai sonner le micro-ondes qui a réchauffé ton bol de lait, que je guetterai le moment où tu claques la porte pour partir au collège, je pourrai enfin souffler et savourer la douceur d’un matin sans cri, l’impatience d’être au midi pour te voir arriver, ébouriffé, plein d’une matinée d’études et avide d’un bon repas avant d’aller surfer, je pourrai enfin me dire que la tempête est passée, que tout va aller mieux, qu’on va pouvoir se parler calmement et se respecter.


Pour l’instant les nuages noirs ont complètement obscurci le ciel, je ne distingue presque plus les toits de la ferme ou les ombres du pré, il va falloir aller dormir pour rattraper en rêves les mauvais moments de cette soirée de merde et les transformer en outils de savoir et de compréhension pour mieux vivre demain.


Je t’aime, mon enfant, ne pars pas trop vite, trop mal...

Bon vent !


23 janvier 2011

Fiston,

En relisant ces lignes d’il y a déjà trois ans et demi, je me mets à pleurer, les larmes que je n’ai pas versées tout à l’heure ne cessent maintenant de couler, inondant mes joues et serrant ma gorge de tristesse trop peu exprimée.

Pour tes frères, pour ma fierté, je n’ai pas crié tout à l’heure, j’ai réussi à finir le repas que tu as quitté si brutalement, j’ai même pu passer un moment tranquille avec ton cadet qui cherchait son portable, avec ton demi-frère qui ne voulait pas m’aider à ranger ses jouets…

Et puis maintenant je relâche la pression, je relis les mots d’autrefois et me rends compte que je n’avais donc rien gagné alors, mais vraiment juste entamé la longue érosion qui a causé l’effondrement de notre relation ce soir.

Pourquoi j’ai pas réussi à te retenir ce soir, pourquoi mes mots, mes regards, n’ont pas eu la force de te faire revenir à des sentiments plus doux pour nous, ton beau-père et moi qui ne voulons au quotidien qu’une présence affectueuse et tranquille et n’avons depuis plusieurs semaines qu’un sentiment d’être tenanciers d’une auberge…

Je sais depuis longtemps la grave erreur de parents qui est de croire que nos enfants nous seront reconnaissants des sacrifices ou des choix que nous pouvons faire pour eux durant leur enfance.

J’ai lu « Le Prophète » quand tu n’étais qu’un bébé, je crois même l’avoir eu en cadeau de naissance par tes grands-parents qui ont lu et écouté Dolto en boucle quand ils étaient jeunes parents…

J’ai toujours voulu rester en retrait pour ne pas t’empêcher de t’envoler librement le jour où…

Mais j’ai aussi décidé de plein de choses en pensant te rendre service, t’aider à avancer, alors que tu ne rêves que d’indépendance, d’autonomie, de liberté.

Je me suis plantée, en beauté, je ne te comprends pas et ton refus de rester plus longtemps sous le même toit que nous m’inflige une énorme déchirure, tout repasse vitesse grand V dans mon esprit, ta naissance, ton enfance, les bons moments et les coups de gueule, les fiertés et les désaveux…
Le divorce aussi, qui pèse entre nous tous pour le restant de nos jours, cette tension infecte quand on parle ton père et moi, venant tantôt de l’un, un autre jour de l’autre, jamais une minute paisible entre nous, jamais plus.
C’est très douloureux tu sais, de ne plus jamais pouvoir parler comme avant à celui qu’on a aimé pendant des années plus que tout au monde, celui pour lequel on a tout donné, et qui nous a tant apporté tout ce temps-là aussi…

C’est cette horrible chose que je ne veux pas voir naître entre nous, mon fils chéri, cette ignoble mascarade lors de brèves et rares rencontres, ce sentiment d’échec et de gâchis immense, je n’en veux pas entre nous !


Peut-être que tu vas revenir, un de ces jours, alors on pourra essayer de comprendre…

Là j’ai mal, quand tu es parti ton frère cadet est devenu une boule de pleurs, ton demi-frère était tout étonné d’avoir vu la porte se refermer entre nous… c’est moche et ça fait mal.

J’aimerais que tu réfléchisses à tout ça, que tu arrives à me comprendre et qu’on puisse en parler sans trop tarder.


Je te laisse peinard maintenant, j’ai réussi à exprimer ici la tristesse, j’aimerais bientôt pouvoir te dire mon espoir de te retrouver. C’est quand tu voudras.


Ne laisse pas passer trop de temps !


Je t’aime,

ta mam'

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