vendredi 5 mai 2023

ouvert au hasard, #1

 


Dans la série “ouvert au hasard”...
#1, ce matin, alors que mon laptop, par une fausse manip, a tout avalé de mes derniers écrits. TOUT.
Mon esprit fluctue entre peine d’avoir perdu pensées et travail de plusieurs semaines qui n’avaient pas été sauvegardés, et espoir de les voir ressurgir d’un coup de baguette du pote informaticien...
Et aussi j’écoute, ce que l’univers m’envoie comme message ces jours-ci : se poser, contourner le tout numérique, ou accepter de ne plus en être ?
Bref, dans un coin de mon cerveau - et de mon cœur aussi - germait le projet d’ouvrir un livre au hasard et d’en partager le délice ici. Longtemps je me suis contentée de glisser un bout de papier daté dans les recueils de poésie piochés au hasard de ma bibliothèque...
Et voilà que ce matin, ébahie par les aléas informatiques, réduite par cette impuissance au rangement de mon espace de travail, un truc bien concret repoussé depuis des mois sous prétexte d’écrire, de lire, de scroller des fils d’actu ou visionner des vidéos, j’ouvre et lis ces lignes d’une jeune fille d’autrefois, happée par le Mal, anéantie mais si vivante dans les millions de cœurs et d’esprits qui l’ont lue, pleurée, aimée...
À cette page, justement, où elle évoque à la fois la tristesse de l’empêchement, la résilience face aux contretemps matériels, et sa propre fin en un terrible vœu hélas réalisé...
Comme Lola Lafon - guide magnifique - je continue son chemin, alors.
Merci Anne Frank, paix à ton âme ✨🎏

jeudi 20 avril 2023

l'effroi et la lumière

 


L’effroi

Dans le regard du vieil homme

Retrouver les peurs de l’enfant

Un mot une idée d’autrefois

Glacé le sang serré le ventre

Joie figée sourde angoisse.

 

La lumière

Dans les yeux esquisse de bonheur

Sur la peau douceur de printemps

dans la tendresse de l’âme ombrée

En ricochets d’une goutte à l’autre

Le long du torrent entre les pierres moussues

Pleine sous la lune

Entière au jour levé

Diffuse en embruns d’équinoxe

Éparpillée entre mon cœur et toi.

dimanche 9 avril 2023

Email d’un dimanche (fictif) de Pâques


             Georgia  O'Keefe - Blue n°4, 1916

Qu’ils se démerdent

J’arrête de dire faire penser pour eux

Les épluchures les draps sales les lampes allumées hors nuit les cadavres de bouteilles les casseroles poisseuses les chiottes à récurer je les leur laisse

Sans plaisir car ça me coûte quand même, j’aurais bien pris l’éponge le balai la pelle et mes forces tout entières tendues vers un meilleur plus brillant moins triste ou moins chiant mais non pour une fois qu’ils se débrouillent avec tout ce qui m’a empêchée.

Basta je pense à moi mes envies mes doutes mes peurs je vais les repousser mes rêves je vais les caresser ma peau je vais la sauver.

Pas qu’elle était vraiment en danger ils me l’ont bien dit depuis des années j’étais plutôt favorisée belle maison chouettes enfants nice people tout autour et cette région chérie elle est si vaste et pleine de lumière et on pourrait faire un pique-nique dimanche après la matinée de ménage qu’en dis-tu ou un tour à la plage après la sieste du petit et tu me feras bien un câlin pendant que les grands révisent leur leçon et pourquoi on irait pas en montagne l’hiver prochain tu sais on pourrait louer un gîte en bas des pistes j’ai toujours aimé skier petit on y allait tous les ans maman nous tricotait des passe-montagnes qu’est-ce que ça grattait dans le cou heureusement maintenant y a Decat’ on peut s’habiller chaud pour pas cher.

Dans la Medina de Marrakech j’ai vu les enfants les mains crevassées j’ai vu les porteurs de peaux à tanner j’ai vu les fatmas les pieds abîmés j’ai vu les montagnes de chaussures cirées.

Oh maman dis on retournera dans l’hôtel avec piscines intérieure extérieure ? Tu sais où papa a dit servez-vous c’est tout compris reprends un croissant ma chérie tu as vu ces fruits ici c’est vraiment le paradis.

Quand on est repartis Mamie qui savait Mamie qui a tout fait même pipi au lit quand elle était petite Mamie qui a grandi pas très loin d’ici elle a reconnu l’endroit « sent mauvais » elle a dit c’est comme ça qu’on l’appelait quand on passait là avec mes frères j’avais dix ans c’était une route sous le ciel doré lumière de fin de journée on va rentrer on fait une dernière virée là où personne ne va pas les touristes en tout cas : là plus de palmiers ni de serveur empressé il n’y a que des collines d’immondices immenses une nuée d’oiseaux qui tournoient au-dessus à perte de vue cette zone de déchets lentement transforme décompose opère le long processus du tri des rebuts de nos existences de plastique.

Et puis le silence, enfin la beauté pure offerte à qui sait l’entendre. La joie simple d’être là. Entière. Posée. Écoutant la lumière, la chanson qu’elle fait quand on regarde bien. Ça voyage en soi, les yeux dans le vague. Ça dit les mystères, y a qu’à se pencher, doucement observer. Ça souffle une manière de se retrouver, ça dit les misères d’une autre façon, ça enchante le monde, ou bien ça l’efface.

J’aime bien quand tout disparaît, l’école les autres la couleur du papier peint les sons de la maison l’odeur de mes mains après le ménage. J’aime bien juste glisser un doigt entre les plis du drap ou sucer une tige de trèfle ou laisser le soleil se poser sur ma joue. Et oublier le reste. Flotter dans l’ailleurs. Bercer des pensées bizarres. On serait dans une ville toute ronde, les rues les maisons les meubles tout serait ondulé on se cognerait plus aux angles aux arêtes on irait tranquilles de plages en prairies on rirait tout le temps hiver comme été.

Ou alors on bâtirait un village et on mettrait dedans tous les gens qu’on aime et celles-ceux qui leur manquent : parent·es ami·es enfants perdu·es on les retrouverait toutes et tous ce serait chouette de les voir arriver par la grand-route tout le monde sourirait y aurait une belle fête des tables dressées par toutes leurs mains leurs cœurs apaisés leurs esprits sauvés des années de guerre des histoires sordides qui n’existeront plus que dans les cimetières où tout le mal serait enterré.

Ou bien on irait fabriquer des trucs qui servent vraiment au bonheur des gens : instruments de musique et de paroles, lits pour dormir loin, tables à mieux manger, fournils à brioches et pains de mie dorés, carrioles de papier pour écrivain·e pressé·e, hôtel à oiseaux, phares et balises pour arrêter d’errer, maisons pour enfants qui ont peur la nuit et surtout on inventerait l’outil magique de l’oubli des larmes, qui sauverait des drames des histoires malsaines et des idées tristes.

©Gwenn Abgrall-Servettaz

samedi 18 mars 2023

17.03.2023 - Remettre au vague son regard

 


Laisser gagner la brume qu’on repoussait vaillamment à l’heure de se lever. Remettre au vague son regard, ne plus chercher la précision, l’exactitude, où tout est net mais incertain de tant d’inconfort, de détresse. Larguer les amarres mentales, ne pas donner prise aux pensées claires et décisives. Loin dans le flou des idées improbables, par-delà certitudes encombrantes et élans trop énergiques, guetter l’errance qui nous emportera si on lui donne la main, confiant·e, apaisé·e de ne plus lutter.

Les mots ainsi reviennent pour dire les âmes qu’on croyait perdues mais qui toujours sont restées là, tapies dans l’ombre, silencieuses dans leur fausse absence. Les phrases se forment au hasard – qui n’existe pas - et recouvrent les lignes d’un trait fin soufflé par le temps dans le secret de la plume. La main retrouve souplesse et force pour puiser, dans les liens qu'on croyait brisés, l’énergie de dire - les monstres affrontés, les démons combattus, l’ironie d’un sort vécu comme injuste alors qu’il fut magnifique en bien des instants. 

Retranscrire cette époque, douloureuse et complexe, c’est un peu comme repartir en voyage sur une terre jadis arpentée, dont on aurait perdu la carte mais qu’à chaque pas, à chaque détour de rue, de champs ou de village, on croit reconnaître pour y avoir vécu, passé, pensé, un jour, une année, une vie.

Les fleurs légères du bouquet d’anniversaire tremblent doucement au-dessus de la théière, bercées par les volutes de chaleur qui s’en échappent encore. Tout à l’heure le café et les heures d’éveil auront vaincu l’état de somnolence diffuse qui régnait il y a peu sur mon esprit engourdi. Comme les pétales vaporeux – quelle est cette espèce de plantes à l’aspect soyeux du pissenlit prêt à laisser s’envoler sa future descendance ? – sensations et perceptions vibrent sur la page, voici qu'advient ce que je dois écrire, faire et transmettre. Du village, de l’histoire de P. et ses amies, ses amours peut-être, en tout cas leur souvenir.