dimanche 13 août 2023

Dans les plaines du Far West



Sam Petlek avait enfilé son Stetson, en dernier, pour éprouver dans le sombre reflet du miroir fatigué de la salle de bains du motel, sa silhouette de cow-boy las mais prêt à tout pour sauver l’honneur de son nom. Deux générations que des gars comme lui s’évertuaient à rentrer dans le crâne des yankees et des Cherokee que la famille Petlek n’était pas venue du fin fond du Caucase pour faire du macramé ou enfiler des perles, fussent-elles puisées dans la rivière et tamisées au meilleur filtre d’un ancien chercheur d’or comme l’avaient été ses grands-pères.

Voilà, c’était le soir, le soleil avait fini d’iriser l’horizon de ses lueurs crépusculaires.
Dans la chambre d’Alison, il finissait de noyer son chagrin de solitude dans le fond d’un verre de Monkey. La nuit ne tarderait pas à estomper autour de lui le moindre détail du jour passé, qui ressemblerait à s’y méprendre au jour suivant si ce n’est cette légère différence entre un samedi et un lundi, entre un soir entre potes et une nouvelle journée de travail.
Il ravala fierté et derniers relents d’amertume, sa fille était loin et son ancien  amour, sa défunte mère, encore plus enfouie sous terre et les années de veuvage. Allez, la soirée débutait, ne pas fléchir, ne pas mollir. Allez.

*

Pardon
Pardon d’être entrée dans ta vie
Par effraction ou omission
Pardon d’avoir volé dans ton regard
La source qui étanche ma soif
Dans l’oasis tissé en miroir de mon insatiable désir

Pardon d’avoir tendu vers ton souffle serein
Les mille et une insomnies de mes rêves défunts
Pardon d’avoir cru assouvir à ta bouche arrondie les soifs inextinguibles de mes aventures les plus folles.

Tu dors et je susurre
Tu respires et j’halète
Cachant au plus profond
Réduisant au silence
Espoirs et douces craintes
Attentes et vaines absences
Je tâtonne et raconte
La lâche chevauchée d’une femme en errance.

Tant pis la grâce et les voluptés
Adieu les aubes et les paupières fardées
Je repars attristée, lourde des jours déçus
Heureuse des espoirs à venir, s’il y en a sur le chemin.

Les cris et les hourras, les confettis les paillettes, c’est pour d’autres que moi.

Allez, dormir.

6:46 - soit trois paires d’heures plus tard.
Nième tourner-virer entre les draps fatigués.
Combien de temps ça va durer ces dents de scie ? Les haut-le-cœur des dégringolades émotionnelles, les demi-sourires et les joies trop courtes pour être vraiment joyeuses. Les ras-le-bol de quelques secondes qui s’étirent en minutes de plus en plus nombreuses.
C’est comme dans ce rêve, on attend que la boulangère, son apprenti ou le mitron qui passe sa tête enfarinée par la porte du fournil pour dire un mot avant de partir, enfin quelqu’un, quoi, nous vende un pain, n’importe lequel, il y a trop de choix, je ne saurais être juste en demandant du multi-céréales plutôt qu’une brioche, mais bon sang qu’on me regarde et me sourie, juste, en me demandant « et pour vous, ce sera quoi ? ». Les enfants le frangin les parents peut-être aussi attendent dehors dans la voiture ou à la maison que je revienne avec la pitance quotidienne de l’amour en mie et croûtes bien savoureuses des grammes de bonheur solide du qui nourrit étanche faims et soifs diverses donne au corps son dû d’énergie les ressources pour rester droit...

Avant que mon âme se dessèche, recroquevillée dans les ténèbres glacées des heures de solitude, là-bas derrière la montagne de non-dits et les cascades de pleurs rentrés, tu sais, au-delà du gouffre des erreurs de jeunesse, après le labyrinthe de l’enfance aux recoins sombres et épineux.
Il est bientôt sept heures, je vais marcher.

Ah si, avant d’y aller : la pensée soudaine, essentielle, après les whisky purs ou en Irish coffee : contrairement aux plantes et bien des oiseaux qui jamais ne cessent de défier les lois de l’attraction terrestre par l’énergie universelle et atemporelle les hissant vers le ciel, nous devons, nous autres animaux, y céder quotidiennement pour reposer nos êtres de chair et de sang. Glisser vers le sol, agrémenté de couches plus ou moins confortables et vastes, laisser notre corps redevenir docile à l’invisible qui gouverne, cesser de résister, abattre armes et désirs, n’être plus que cession abdication des forces et autres volontés, creuser la brèche dans le rempart, chaque jour soir semaine mois années des milliers d’heures un quart de notre vie si on meurt octogénaire on aura abandonné au creux d’un matelas, d’une botte de foin ou d’un hamac, le long d’un talus, sur un plancher ou une banette qui tangue et roule, toute velléité à rester debout. 
Vient aussi la compréhension massive de la notion d’arbre généalogique, dans laquelle se tiennent tout ensemble la logique des gènes circulant entre les êtres de même origine telle la sève irriguée propulsée des racines vers la plus fine extrémité de la plus petite feuille de la plus haute branche de cet être vivant qui n’en finit jamais de perpétuer son existence à travers temps et espace.

Aucun commentaire: