Une petite lueur là-bas au fond. Entre
les bosquets d’aubépine et les troncs des chênes quasi-centenaires, les
dernières lumières du jour se mêlent à l’azur vierge et net comme un soir d’Éden.
Les potes viennent de me dire,
chacun·e
à sa façon, comme il-elles attendent la joie du déconfinement, les libérations
du chômage partiel ou l’espoir d’un autre monde… chacun·e à sa manière, du fin fond de
son home sweet home, pour certain·es malheureusement pas si sweet,
chacun·e
donc gamberge, en son niveau de conscience ou d’illusion.
La réalité est abrupte et
angoissante, les pensées glissent d’un couloir de service hospitalier surchargé
à la prairie en fleurs, on voudrait partager le bonheur d’une journée de
jardinage ou de jeux d’enfants avec celles et ceux qui n’ont pas vu la lumière
aujourd’hui, avec les êtres aimés qui se retrouvent soudain seul·es,
avec les innombrables soucieux-ses, les tristes et les affligé·es.
On aimerait les baigner dans le
miel de nos vies protégées, les oindre des onguents de paix humés de bon matin,
quand le soleil point derrière la cime des arbres, réchauffe soudain les
ardoises gelées du petit matin frisquet et nous offre soudain l’espoir d’une
journée de répit, le début peut-être du meilleur auquel nous aspirons tant.
Les enfants se régalent de tout ce
temps offert, occultant en d’infinis subterfuges l’angoisse qui pointe parfois
dans nos propos ou nos gestes de parents abasourdis par cette situation
inédite.
Montrer la confiance en l’avenir,
la foi dans les protocoles immuables hier mais soudain si fragiles, ne pas se
déparer de l’optimisme inculqué par nos anciens qui « en ont vu d’autres »,
ne pas céder à la panique qui ne résout rien, on le sait bien, mais p*** que ça
ferait du bien de se lâcher enfin, rire, et/ou pleurer et tout laisser de côté
pour de bon, tirer le rideau sur cette scène improbable d’une représentation
que nous n’avons ni préparée, ni même mise en scène, ni encore moins imaginée.
Je me rappelle avoir pensé
souvent, à l’âge d’enfance ou d’adolescence, la disparition soudaine de mes
parents, ou l’avènement d’une dictature, ou un événement apocalyptique. La
tension était vive à monter ce scénario improbable, l’angoisse grimpait
sournoisement et les pensées les plus glauques défilaient sur mon écran
intérieur pour mieux galvaniser mes sentiments de perte irrémédiable ou de
tristesse absolue.
Maintenant que nous nous
réveillons chaque matin avec la certitude que rien ne ressemblera plus à hier
et encore moins à l’année dernière, l’amère sensation de n’y rien pouvoir
changer voire d’être totalement incapable de faire face intelligemment aux
invraisemblables contingences de cette situation, cette désagréable impression
d’avoir coché la mauvaise case dans l’éternelle loterie de la vie, me
submergent quelques instants.
Chaque matin je dois faire un
effort pour reprendre pied dans cette réalité mystérieuse, glaner dans les
bas-côtés de mes rêves les copeaux d’idées ou de sentiments qui me permettront
d’oser repousser les draps chauds de la nuit, ouvrir les volets sur une
nouvelle journée, me pencher encore sur les têtes blonde et brune et
recommencer vaillamment à enfiler les perles de ma vie de maman confinée.
Sans me plaindre, puisque la
chance me porte et me soutient en cette belle maison bordée d’un jardin et de
magnifiques prairies, de dizaines d’arbres protecteurs, de chevaux et d’oiseaux
qui me rappellent à leur façon que la vie la vraie est là, à portée de main,
humble et divine à chaque instant.
Puisse l’univers nous guider
clairement sur ce nouveau chemin d’apprentissage et mener l’humanité vers le
meilleur d’elle-même.
Puissent nos enfants connaître la
joie et l’amour qui m’ont portée jusqu’à ce jour.
Inch Allah, si Dieu
veut, etc.
Pourvu que toujours
encore