vendredi 3 avril 2020

Vendredi 3 avril – 21h15


Une petite lueur là-bas au fond. Entre les bosquets d’aubépine et les troncs des chênes quasi-centenaires, les dernières lumières du jour se mêlent à l’azur vierge et net comme un soir d’Éden.
Les potes viennent de me dire, chacun·e à sa façon, comme il-elles attendent la joie du déconfinement, les libérations du chômage partiel ou l’espoir d’un autre monde… chacun·e à sa manière, du fin fond de son home sweet home, pour certain·es malheureusement pas si sweet, chacun·e donc gamberge, en son niveau de conscience ou d’illusion.
La réalité est abrupte et angoissante, les pensées glissent d’un couloir de service hospitalier surchargé à la prairie en fleurs, on voudrait partager le bonheur d’une journée de jardinage ou de jeux d’enfants avec celles et ceux qui n’ont pas vu la lumière aujourd’hui, avec les êtres aimés qui se retrouvent soudain seul·es, avec les innombrables soucieux-ses, les tristes et les affligé·es.
On aimerait les baigner dans le miel de nos vies protégées, les oindre des onguents de paix humés de bon matin, quand le soleil point derrière la cime des arbres, réchauffe soudain les ardoises gelées du petit matin frisquet et nous offre soudain l’espoir d’une journée de répit, le début peut-être du meilleur auquel nous aspirons tant.
Les enfants se régalent de tout ce temps offert, occultant en d’infinis subterfuges l’angoisse qui pointe parfois dans nos propos ou nos gestes de parents abasourdis par cette situation inédite.
Montrer la confiance en l’avenir, la foi dans les protocoles immuables hier mais soudain si fragiles, ne pas se déparer de l’optimisme inculqué par nos anciens qui « en ont vu d’autres », ne pas céder à la panique qui ne résout rien, on le sait bien, mais p*** que ça ferait du bien de se lâcher enfin, rire, et/ou pleurer et tout laisser de côté pour de bon, tirer le rideau sur cette scène improbable d’une représentation que nous n’avons ni préparée, ni même mise en scène, ni encore moins imaginée.

Je me rappelle avoir pensé souvent, à l’âge d’enfance ou d’adolescence, la disparition soudaine de mes parents, ou l’avènement d’une dictature, ou un événement apocalyptique. La tension était vive à monter ce scénario improbable, l’angoisse grimpait sournoisement et les pensées les plus glauques défilaient sur mon écran intérieur pour mieux galvaniser mes sentiments de perte irrémédiable ou de tristesse absolue.
Maintenant que nous nous réveillons chaque matin avec la certitude que rien ne ressemblera plus à hier et encore moins à l’année dernière, l’amère sensation de n’y rien pouvoir changer voire d’être totalement incapable de faire face intelligemment aux invraisemblables contingences de cette situation, cette désagréable impression d’avoir coché la mauvaise case dans l’éternelle loterie de la vie, me submergent quelques instants.
Chaque matin je dois faire un effort pour reprendre pied dans cette réalité mystérieuse, glaner dans les bas-côtés de mes rêves les copeaux d’idées ou de sentiments qui me permettront d’oser repousser les draps chauds de la nuit, ouvrir les volets sur une nouvelle journée, me pencher encore sur les têtes blonde et brune et recommencer vaillamment à enfiler les perles de ma vie de maman confinée.
Sans me plaindre, puisque la chance me porte et me soutient en cette belle maison bordée d’un jardin et de magnifiques prairies, de dizaines d’arbres protecteurs, de chevaux et d’oiseaux qui me rappellent à leur façon que la vie la vraie est là, à portée de main, humble et divine à chaque instant.

Puisse l’univers nous guider clairement sur ce nouveau chemin d’apprentissage et mener l’humanité vers le meilleur d’elle-même.
Puissent nos enfants connaître la joie et l’amour qui m’ont portée jusqu’à ce jour.

Inch Allah, si Dieu veut, etc.

Pourvu que toujours encore

Mardi 31 mars



Et là, assise dans ma cuisine, attendant que la compote pommes-kiwi finisse de cuire, repoussant au doux soleil printanier les sombres pensées sur la situation sanitaire, là-bas au dehors, je me prends à rêver de plage de sable fin, eau turquoise et palmiers vert tendre.
On serait en avril, mais loin antan lontan, demain préparer le matoutou pour célébrer une énième fois les Pâques et tout le Saint-Frusquin. Après les accras et le ti-punch, savourer une fricassée de lambis et sa cohorte de légumes pays. Se finir au Magnum Double Chocolat, à la Carib fraîche ou au vieux rhum de derrière les fourneaux de la Maison Duquesne ou Trois-Rivières.
Et toujours croire en l’amour, la lumière du couchant ou les douceurs de caresses infinies.
Ne plus croiser le regard insistant des histoires tristes de gens qui souffrent, ni entendre la longue litanie des jours de jeûne ou des nuits d’agonie. Fermer yeux et oreilles à tous les borborygmes effroyables que l’histoire peut nous imposer, barricader chacun de ses sens pour préserver autant que possible la pudeur naïve de nos cœurs ébréchés.
Ne plus écouter la rumeur du monde, juste essayer de compter le nombre de pas que peut faire la fourmi pour regagner le jardin après avoir chapardé un micro grain de sucre sous la table de la cuisine mal débarrassée.
Et recommencer, jusqu’à la nuit tombée, l’incessante recherche des souvenirs paisibles.

mardi 31 mars 2020

Lundi 30.03.2020 – avant d’éteindre pour la dernière nuit de mars.

bilan de "mon" mois, le plus long de l'année, le plus étrange de ma vie...

Rien de fait au final, juste des procrastinations en série, de drôles de moments tristes, des minutes entières à regarder dehors, par la fenêtre refermée sur décision préfectorale puis nationale.
Du 1er mars où nous préparions une rentrée scolaire après villégiature dans les Alpes, n’est resté qu’un goût bizarre de « ben non finalement, on reste à la maison ». Trente jours demain que le chemin de l’école s’empoussière, que les cartables restent béants sous la table, la rouille pourrait poindre bientôt sur leurs fermoirs si l’on n’y prend pas garde.
Trente nuits aussi à scruter l’écran donnant sur le monde, la Chine puis l’Italie, l’Iran et la Corée du Sud, suivis d’une cohorte de pays, de contrées et de peuples dont on n’aurait pas parié à Noël qu’ils susciteraient bientôt tant d’intérêt autre que géopolitique ou vaguement touristique (ou l’inverse en fait).
Comprendre ce qui point, cette immense vague de miasmes toxiques, cette marée montante de craintes et de faux espoirs vite déchantés. Analyser avec nos petites cervelles, ressentir avec nos pauvres cœurs désuets, les énormes enjeux et les petites entourloupes des gouvernants, les ascensions de montagnes démesurément hautes par des équipes de soignants exténués, les gouffres vertigineux de l’absence de raisonnement où l’écho de quelques étoiles se fracasse de paroi en moraine.

Et perdre des êtres chers, plus ou moins proches mais si importants à nos vies de petits plaisirs et brefs instants de poésie… la poésie justement, renoncer à une formidable opportunité de dire en public, de chercher activement l’éditeur ou la personne capable de lire avec intérêt, voire de publier ces feuillets qui ont peu à peu envahi ma vie...
Ranger le programme du Printemps des Poètes à la lettre C comme courage, le thème de l’année était pourtant si prometteur d’éclosion, d’énergie, d’envol !!
Continuer à échanger avec Joseph Ponthus-Le Gurun, à lire Apollinaire ou Gaëlle Josse, reprendre le Harrap’s pour comprendre mieux le monde au prisme d’une Harvard Business Review ou de blogs de médecins chinois ou de quidams italiens… et aussi tout arrêter, recherches généalogiques, balades en chemins creux trinitains ou échanges avec les anciens, les descendants ou les riverains de la vie d’avant… Pour mieux se poser, écouter pousser l'herbe au matin et regarder les oiseaux clore le jour en de magnifiques couchants... pour mieux aimer aussi, les enfants, le soleil, le vent et nos parents.

Et ce soir à l’écoute du Requiem de Mozart, le son entre les oreilles sans déranger la maisonnée endormie, je m’extraie du brouhaha mondial, de l’atonie soudaine de toutes les récriminations et jérémiades en tout genre qui ont accompagné ces trente derniers jours.
Des cours de piano, maths ou anglais, des cavalcades entre les rochers ou par la forêt avant que le couperet du confinement ne nous laisse plus le choix que les 842 m² de notre gazon de pâquerettes neuves ou la vicinale qui borde notre home sweet hameau – ce qui est, nous le reconnaissons depuis le premier matin, un luxe éperdument bienvenu ! – de tout cela il ne reste que des souvenirs, encore vifs de l’air marin ou du sous-bois printanier aspiré goulument dans notre soif de goûter au printemps. Désormais tout se joue à domicile et en visuel seul.

Pour ne pas faire honte à celles et ceux qui s’épuisent en des services de réa ou des EHPAD surchargés de morbidité, je reprends en pensée ces chemins doux à ma mémoire, ces allées-venues sans raison et tous ces instants précieux de liberté. tenter de les transformer en futur sera la tâche d'avril, si on nous prête vie.

  • dimanche 29 mars 2020

    20200328-29 : entre deux jours


    28.03.2020 – au coucher
    Le Robert de guingois pèse sur le dossier généalogie. Il assume sa somme de savoir, empêche l’envol  impromptu des connaissances familiales, retient notes et tergiversations brouillonnes en un ferme maintien.
    Et pourtant. Tout est en vrac partout, ma chambre mon bureau ma tête. Et mes neurones dedans. Et mes yeux qui piquent, ma peau qui tire et tout le reste qui part à vau-l’eau. Comment tout cela va-t-il finir, s’il y a une finitude quelque part ? Qui va rester de mes envies, de mes désirs et de mes craintes, une fois la vague scélérate retirée pour laisser respirer les survivants ?
    Soif de comprendre et besoin d’avancer, éperdument retenu·e l’une comme l’autre dans mon gosier sec, en dehors de mon panier vide. Rien ne progresse, tout stagne et procrastine. Aucune force n’anime mon esprit plus loin que le quotidien basique, les tâches ménagères ou éducationnelles récurrentes. Plus d’envolée imaginaire, les fous rires d’insouciance évanouis dans la brume des souvenirs, la douce inconscience des années fastes, nada, y a plus rien.
    Ou bien c’est tout tapi quelque part, catimini et chat perché, rien n’affleure dans ces journées bizarres, mais c’est bien connu le monde sous-jacent existe bel et bien, il ne s’absente jamais.
    Alors y croire pour lui donner vie, le laisser œuvrer sans crainte ni suspicion, il en restera bien des traces, voire des bases immuables, pour qui osera les chercher en une archéologie minutieuse, un jour. Ou une nuit, ou plusieurs, qui sait ?

    dimanche 22 mars 2020

    samedi soir

    Qui l’eut cru, un samedi soir en routine télévisuelle, comme au bon vieux temps, Simpson’s pour toute la famille !
    Y a plus de jus en moi, que du rance et du périmé.
    J’ai ras la g… de tous les articles posts et conférences qui nous disent à longueur de journée les gourances des dirigeants, l’incurie des décideurs, l’indécence des bobos pourris qui sont venus de leurs villes souiller le littoral de leur présence de touristes merdiques.
    J’ai mal au monde tel qu’il est, je pleure les morts italiens ou bretons, les enfants calfeutrés dans l’enfer de leur vie de maltraités, sans école ou square pour se défouler entre deux séances de baffes ou de pétage de plomb parental.
    J’ai la gerbe de tous ces masqués dangereux qui mènent notre société à la baguette et au schlag, sans foi ni loi ou en une telle mascarade que ç’en est immonde.
    Alors heureusement les kids, le jardin et le ciel parfois bleu… mais quand même … mater les Simpson’s un samedi soir… p… ça fait au moins vingt ans voire pire que j’avais arrêté…