
Hôtel
France et Continental – St Malo, le 15 juillet 2006
Charme
désuet et rappel de temps anciens, détails lourds de présence passée, ensemble
majestueux autant que raffiné… dommage que l’élégance du bâtiment soit encadrée
des vulgarités commerciales environnantes, il eut été plus agréable à l’œil et
au cœur que l’accès à ce magnifique hôtel fût aussi charmant que son intérieur.
Les
relents de cuisine bon marché et les brouhahas des crêperies et autres
« moules-frites » qui jalonnent le pavé malouin jusqu’en cet endroit
magique m’avaient presque dissuadée de mener plus avant ma pérégrination sur
les traces de Cartier et Surcouf… mais là, au détour de la placette où jonglent
troubadours et portraitistes, au son d’un flûtiau et d’une mandoline, l’entrée
par les grilles forgées efface comme par magie la pénible sensation d’errer
dans un Disneyland bretonnant.
Ici,
on pénètre tout d’abord en croyant entendre l’écho d’une calèche claquant du
sabot de ses chevaux sur le pavé luisant… les portes de l’hôtel s’ouvrent à
peine qu’on est déjà transporté au siècle d’avant celui qu’on a
« enterré » récemment : « dans cette maison, le 4 septembre
1768, naquit Chateaubriand ».
Suit
alors une foultitude de pensées, idées, souvenirs ou sentiments de
« déjà-vu » qui nous propulsent à l’intérieur même de ces photos
jaunies qui ornent les murs de la véranda d’accueil : on croit entendre
les rires des dames en crinolines qui bavardent à l’ombre des platanes – ou
étaient-ce des tilleuls ? – qui ombrageaient alors la terrasse du
restaurant de l’hôtel. Quelques messieurs en canotier et costume sombre
discutent âprement près du kiosque, on distingue en arrière-plan la mer et les
parois abruptes de la fortification…
En
grimpant le large escalier qui mène aux chambres, on perçoit en empoignant la
rampe l’énergie dépensée par les milliers de mains qui ont eu le même geste
depuis tant de décennies. Sur le palier, les lattes du parquet grincent sous
l’épais tapis, on croit avoir déjà eu à l’oreille ce bruit qui porte en lui
tant d’heures d’effort, végétal pour l’arbre dont est issu ce bois, humain pour
les bûcherons, menuisiers, grooms et femmes de chambre qui l’ont fabriqué ou
emprunté pour gagner le pain de leur vie. Les milliers de pas qu’ont amortis
ces fibres ingénieusement mises en œuvre et patiemment entretenues font écho aux
miens, que j’essaie de faire les plus légers possible en hommage à ceux et
celles qui ont ainsi donné à l’ensemble de cet ouvrage patine et souvenirs.
On
dit souvent « si les murs pouvaient parler », mais que ne dit-on
plutôt « si les escaliers pouvaient nous raconter » ! Les murs
ont peut-être des oreilles, mais les sols et en particulier les marches ou
paliers en savent plus de l’humanité, d’une société, d’un lieu que bien des
historiens. Le poids des hommes et des femmes, la façon de se déplacer en
fonction de l’heure de la journée, de son âge, de sa position sociale, de
l’endroit qu’on s’apprête à rejoindre ou celui qu’on vient de quitter, de
l’action qu’on est déterminé·e à accomplir, des pensées qui chevauchent ou
traînaillent en soi, du temps qu’il fait, qu’il fera ou qu’il a fait à quelques
heures de là… autant de paramètres qui donnent à chaque pas sa caractéristique
propre et, comme chaque instant d’une marée, n’est à nul autre pareil. Que ne
peut-on traduire en mots, en phrases ou en romans les histoires que nous
souffle le grincement des lattes du parquet d’un grand hôtel !! Et qu’il
est triste et froid, en comparaison, le son sourd et lourdaud de l’ascenseur
qui monte et descend péniblement les touristes avachis par l’inactivité de
leurs vies modernes du « tout motorisé » !
Chateaubriand,
j'aimerais te voir renaître en cette maison, revenir nous raconter le temps béni où tu trouvais
les mots, les rimes et tout le romantisme pour embellir nos vies, leur ôter l'inhumain, les rendre plus supportables que celles d'aujourd’hui !