lundi 8 décembre 2008

mon week-end de Bécassine

bon, alors y en a qui ont dit qu'on pourrait en faire un post, de cette escapade à la capitale, donc voilà, c'est un bout de ce que j'en ai retenu... mais pour faire vite alors, parce que c'est pas le tout mais la compta n'attend pas...

donc il y a d'abord eu le train. Non, avant encore, la veille, la préparation du départ - et oui, même pour une absence de deux jours, il y a des êtres, des objets et des actes qui réclament mon attention, ma concentration et mon énergie. et donc voilà ce que ça a donné dans ce wagon de 2nde classe, direction Paris :

OK, c’est bon, c’est reparti, mon bel ibook a repris ses couleurs, une petite cure d’énergie en câble et le revoilà paré à me soutenir, me supporter plus exactement…

Il m’aura quand même fait une belle frayeur en refusant de s’allumer au beau milieu d’un jour où l’inspiration se faisait pressante, hallucinante presque par sa prégnance et son insistance à me harceler de mots, d’idées, de situations qu’il faudra maintenant retrouver aux tréfonds de mes neurones un peu ensevelies à présent sous d’autres couches de pensées et lectures.

Et je ne parle pas des nuits, moments fugaces et pourtant bien longs, où les phrases ont surgi une à une, les mots s’alignaient, je les tapais en pensée et les relisais pour tenter de les apprendre, empoignée que j’étais par cette flemme terrible de m’extirper de la chaleur douce de la couette pour coucher encre sur papier…

Il me faudra dire ainsi, en désordre ou comme ça me revient :
Les couleurs des arbres et du ciel en roulant dans la campagne après l’averse d’automne : les nuages coléreux froncent les sourcils et donnent aux chênes une lumière presque frémissante de hargne, on dirait les verts prêts à prendre les armes pour combattre ces gris-noir massifs qui n’en finissent pas de se disputer avec les rayons pour accaparer la meilleure place dans le tableau. Lumière, ombres, palette d’artiste énervé, j’ai ressenti Gauguin à Tahiti sous les palétuviers, Cézanne au cœur de sa carrière, Picasso à Guernica.

Mais aussi ma copine peintre au bord de la rivière, reprenant le spectacle des pontons ostréicoles multicolores au-delà des feuillages d’hortensias de son jardin.

Et encore ce pote photographe et ses coquelicots semés au hasard d’une dune cost-armoricaine… et bien d’autres artistes, musiciens, sculpteurs ou écrivains, qui chacun à sa guise a retranscrit la beauté sauvage d’une nature toujours merveilleuse.

Puis, ce matin, au détour de la route, le lever du soleil à travers le brouillard… une magie de rouge embrumé, de filets de brume harponnés par un disque en feu qu’on dirait à peine sorti d’une forge.
Devant cette féerie, je coupe le moteur, quelques oiseaux percent le silence, je me laisse happer par l’atmosphère fantastique qui se dégage de l’instant. Dans quelques secondes tout aura disparu, le soleil ne se laissera plus observer en son plein cœur, la grande ligne droite sera percée de deux billes blanches qui grossissent, comme un vaisseau qui atterrirait, venu de nulle part, au milieu de ce halo incandescent, pour nous apporter la réponse ultime à toutes nos interrogations.

Le temps que je savoure cette jouissance douce et rare, la voiture s’est avancée rapidement et passe devant moi, la brume est déjà différente, le soleil plus brillant, mon train part dans dix minutes, je ne peux m’attarder davantage.

À présent nous roulons à travers un autre brouillard, le disque solaire est aveuglant à travers ces limbes, les arbres que j’aperçois sont d’étranges statues, tout est gris et blanc, une autre beauté s’offre à moi.
J’aime cette sensation de vitesse sur les rails, les bosquets et les habitations qui défilent comme irréels, un décor en carton pâte qu’on aurait disposé au fur et à mesure de l’avancée du train et qui ne serait là que pour moi, pour me permettre de laisser surgir dans mon esprit et sur le clavier l’histoire qui n’attend que moi, qui ne peut prendre vie qu’à travers moi.

Pourquoi, pour qui, peu importe, j’ai l’intime conviction (prémonition ?) qu’il faut laisser les mots prendre ainsi possession de mon cerveau pour engendrer ce qui va suivre.

Peu après cette introduction, un interlude s'offrit à moi :


Elle s'était assise sur le siège en velours rayé de gris et bleu, fébrile, comme essoufflée par une course soudaine, ou était-ce l'émotion de sa fuite impromptue.

Comme je prenais mon temps pour ranger sac à doc et mallette sur les étagères surplombant nos sièges, elle sembla s'impatienter, puis se reprit. J'interprétai ce semblant d'énervement comme le prélude à un voyage ennuyeux aux côtés d'une midinette agaçante.

Une fois assises côte à côte, ayant échangé à peine un regard, nos existences reprirent le cours parallèle qu'elles avaient suivi jusqu'alors, dans l'ignorance totale l'une de l'autre.
Son parfum me parvenait pourtant, doux ensemble capiteux que mes piètres connaissances en la matière ne m'aidèrent pas à reconnaître.

Le paysage boisé défilait déjà à mes côtés, une petite fille tout droit sortie de "La Petite Maison dans la Prairie" nous prouvait que les lois de l'ère du jeu vidéo priment sur celles du respect des voyageurs.
Je réprimai mon envie de lui demander de couper le son de sa console en farfouillant dans mon sac - ouf, Thérèse Raquin saurait certainement me sortir l'esprit de cet espace décidément trop confiné.

Elle s'était endormie au bout de quelques kilomètres, rattrapée brutalement par la baisse de pression dès les premiers tours de roue.
L'angoisse d'être happée de nouveau par l'enfer quelle venait de quitter desserrait peu à peu son étreinte. Quelques bouffées de stress la saisirent encore, des visions de cette matinée si violente lui revenaient à l'esprit, tordant son ventre au passage des spasmes qui l'avaient tenue éveillée une bonne partie de la nuit.

Son dernier rêve la reprit brutalement - déjà assoupie ou sur le point de l'être, elle gémit faiblement et sa main pâle se crispa sur le sac qu'elle tenait serré sur ses genoux.

L'étau se refermait lentement, comprimant son abdomen dans une douleur effroyable, écrasant ses poumons, l'obligeant à un effort surhumain pour aspirer un faible filet d'air...

Elle sursauta soudain, respirant par à-coups pour reprendre son souffle. Ses yeux bleus verts s'ouvrirent, noyés de larmes, pour un appel silencieux à ma compassion...

Je lui souris doucement en murmurant :
- c'était un rêve, tout va bien !
Elle mit quelques bribes de seconde à reprendre goût à la réalité :

- Merci, je vous prie de m'excuser, je vous ai dérangée ?

- Ne vous inquiétez pas, ma lecture est assez fastidieuse, merci à vous de m'en avoir sortie !" osai-je, blasphémant honteusement devant l'oeuvre de mon auteur fétiche.
Elle soupira, sortit un paquet de mouchoirs jetables de son sac et s'essuya rapidement les yeux.
Son envie de se confier débordait d'elle comme un gros chagrin d'enfant. Son effort pour se contenir et refouler ses larmes m'emplit de pitié :
- Vous voulez qu'on aille prendre un café ?

- Non merci... vous êtes bien aimable...
Elle eut à peine le temps de prononcer un faible "ça va aller" avant de se lever soudainement en direction des toilettes.
Sa démarche un peu tremblante m'évoqua l'image d'une jeune biche aux abois à la fin d'une cruelle chasse à courre.


En relisant ces notes prises après l'arrêt où elle est descendue, je réalise enfin que celle que j'avais prise pour une femme maltraitée fuyant son enfer de foyer n'était en réalité que la première victime de cette gastro dont m'avait prévenue mes amies avant mon départ, que je ramenais bien évidemment dimanche soir dans mes bagages pour contaminer ma famille restée bien à l'abri des microbes parisiens...

voilà, pour l'instant c'est tout, compta et boulot de garde-malades oblige !!!

2 commentaires:

Marie-Georges a dit…

J'aime beaucoup le passage sur l'inspiration pressante !
Le train, c'est vraiment le décor propice, un vrai nid à personnages romanesques, dont on imagine plein de choses... J'avais fait un billet sur mon voisin de train ("Gérontophile") et j'avais beaucoup aimé cet exercice d'écriture-là, décrire l'inconnu dont on scrute des bouts d'intimité.
Tu as écrit après ? A un moment on dirait vraiment que tu es en face d'elle - en tout cas nous on y est - je me suis dit que tu pianotais en toute synchronicité avec ses faits et gestes...

Maouezig a dit…

merci d'être passée par là !!
effectivement j'écrivais en instantané, exercice assez périlleux pour ne pas que ma voisine soit tentée de lire et s'aperçoive que je parlais d'elle... ça fait un petit frisson qui va bien, c'est mieux que le "qui-fait-rire" pour doper l'inspiration !!
mais je crois bien qu'elle dormait vraiment - et il y a une petite part de broderie de ma part, mais je ne dirai pas en quoi !!
j'avais bien aimé ton "gérontophile" j'y ai repensé souvent depuis... et ta remarque sur les personnages croisés dans un train est judicieuse : je me disais justement l'autre jour que si je devenais vraiment écrivain j'y puiserais beaucoup de sujets... en fait je prendrais tout bonnement une carte d'abonnement et je sillonnerai la France - l'Europe, allez, ayons l'esprit large ! - pour assouvir cette passion de voir d'autres existences me passer sous le nez (puis sous la plume !)...