Laisser gagner la brume qu’on repoussait vaillamment à l’heure de se lever. Remettre au vague son regard, ne plus chercher la précision, l’exactitude, où tout est net mais incertain de tant d’inconfort, de détresse. Larguer les amarres mentales, ne pas donner prise aux pensées claires et décisives. Loin dans le flou des idées improbables, par-delà certitudes encombrantes et élans trop énergiques, guetter l’errance qui nous emportera si on lui donne la main, confiant·e, apaisé·e de ne plus lutter.
Les mots ainsi reviennent pour dire les âmes qu’on croyait perdues mais qui toujours sont restées là, tapies dans l’ombre, silencieuses dans leur fausse absence. Les phrases se forment au hasard – qui n’existe pas - et recouvrent les lignes d’un trait fin soufflé par le temps dans le secret de la plume. La main retrouve souplesse et force pour puiser, dans les liens qu'on croyait brisés, l’énergie de dire - les monstres affrontés, les démons combattus, l’ironie d’un sort vécu comme injuste alors qu’il fut magnifique en bien des instants.
Retranscrire cette époque, douloureuse et complexe, c’est un peu comme repartir en voyage sur une terre jadis arpentée, dont on aurait perdu la carte mais qu’à chaque pas, à chaque détour de rue, de champs ou de village, on croit reconnaître pour y avoir vécu, passé, pensé, un jour, une année, une vie.
Les fleurs légères du bouquet d’anniversaire tremblent doucement au-dessus de la théière, bercées par les volutes de chaleur qui s’en échappent encore. Tout à l’heure le café et les heures d’éveil auront vaincu l’état de somnolence diffuse qui régnait il y a peu sur mon esprit engourdi. Comme les pétales vaporeux – quelle est cette espèce de plantes à l’aspect soyeux du pissenlit prêt à laisser s’envoler sa future descendance ? – sensations et perceptions vibrent sur la page, voici qu'advient ce que je dois écrire, faire et transmettre. Du village, de l’histoire de P. et ses amies, ses amours peut-être, en tout cas leur souvenir.
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