vendredi 3 mars 2023

E-mail au petit matin

Et maintenant j’ai plus le temps

D’écrire de dire

Ni même d’en rire

De ce stupide “attends regarde pas encore retiens toi n'y va pas tu devrais rester là

Compter les jours regarder l’amour

De loin sans y toucher

À peine susurrer effleurer mais surtout pas penser

Que demain tout à l’heure tu vas saisir ta chance la beauté et l’éclat du jour qui bientôt s’enfuit

Alors reste en bas-fond triste sort soupente de l’oubli du non-dit des sous-titres du sublime enterré bien profond sans en rajouter“

 

Elles ont filé les minutes elles ont passé les heures

L’horloge sonne le jour se lève un enfant parle une porte claque

Il n’est plus temps.

jeudi 2 mars 2023

Entraves au bien-être




 Ma maison est un vaste bordel, un amoncellement de souvenirs, de projets non aboutis, de beaux objets et d’inutiles vieilleries, de traces du passé et d’outils d’avenir – dont certain·es, comme les livres, peuvent être les deux à la fois.

Mes Uggs sont vieilles et fatiguées, quinze hivers les ont déglinguées, mais les enfiler - ne serait-ce que les regarder, posées dans l’entrée - m’est d’un grand réconfort : je sais qu’à tout moment, pour affronter le froid qui attend derrière la porte frappée par le vent du Nord, je pourrai les chausser comme une paire de pantoufles et, allant au jardin ou tout le long de la prochaine balade en forêt ou bord de mer, garder au cœur de la peau de mouton un peu de la chaleur de mon salon. Amis laineux d'Australie, paix à votre âme et merci, vous n'êtes pas morts pour rien.

Une dernière bouchée du gâteau de dimanche, quelques miettes plutôt, le fond de la tasse de café puis de tisane pour reprendre forces et goût à cette journée qui n’en finit pas de bifurquer entre choses prévues et rendez-vous attendus, espoirs déçus (refus de la bourse SCAM, pas de déjeuner avec de vieux ami·es, trouver le bon endroit pour marcher un peu) et les nouvelles pas très joyeuses du fiston qui galère, la vision d’une construction qui achève de défigurer un quartier, un jardin, un paysage aimés depuis l’enfance.

Les entraves au bien-être sont multiples et lourdes pour mon cœur en errance, toujours ce sentiment de ne pas savoir comment accepter les aléas, l’incertitude et les difficultés à trouver la bonne place – à moins que j’y sois déjà ?

Le gâteau terminé, la page bientôt remplie, une boule de papier alu froissé dans la tasse vide, le soleil sur tout ça perçant depuis le milieu des nuages chassés à travers le ciel bleu par le vent du Nord, froid comme mes pensées.


vendredi 3 février 2023

Les mots reviennent de je ne sais où



Waterman de P. sur feuille de cahier 21-29.4 à rayures Seyes

Matin, bougies, calme des oiseaux babillant sous le ciel encore gris.

 Chacun s’affaire. Les mots reviennent de je ne sais où. Leur voyage n’est pas terminé, ils errent encore çà et là, à moi de les guider sur le chemin pour aller jusqu’à vous. J’ai l’aide des ancêtres, des âmes qui doivent parler, je me tais, les écoute. Mon pouce encore douloureux de la glissade mal rattrapée le jour du départ, à Noël, me rappelle pourquoi j’y allais, pourquoi je ne voulais pas, pourquoi je me suis retenue au montant de bois de ma chère maison, pourquoi j’ai toujours mal de ces moments de crainte et d’hésitation. L’émotion monte lentement, une boule dans la gorge, le souffle plus profond, il me faut ressentir, interroger ces sensations douces et puissantes qui montent en moi.

Les questions se faisaient multiples, assaillaient mon esprit et bataillaient ferme avec les contingences du quotidien - ne rien oublier, dialoguer avec les enfants ou mon frère si attentionné, fermer la maison ou du moins lui laisser les clefs, quitter le cocon des jours de vie et de deuil, pour quelques jours qui seraient sûrement difficiles, joyeux peut-être par moments, mais douloureux sûrement, tant l’attente de partage d’émotion était ancienne déjà. Je n’ai pas su alors comprendre ou écouter les signes de mon désarroi, la crainte de ce que j’allais vivre comme une raison de me concentrer, l’espoir de m’être trompée comme une motivation à me calmer, redescendre, écouter. Ensuite, le voyage, avec le triste arrêt auprès de M. souffrant dans son lit d’hôpital, qui ne serait finalement pas son dernier, ouf, la vaillance de cette femme ne cessera jamais.

De posts en commentaires – Abdulaye Sané berce âme et pensées, ref. à Etugen, lire encore, lire toujours, merci Margot Bonvallet, Jen Hendrycks ou Pascal Didier – j’ai dérivé quelques minutes vers Joy Sorman et retrouvé trace de cette rencontre de 2021 où elle avait présenté « à la folie », ce récit sur l'internement en HP. Le lien avec le petit livre dédicacé à P. retrouvé parmi ses archives (photos, écrits, objets du quotidien, etc.) me tire doucement vers ce qui va vraisemblablement être mon prochain « chantier » : démêler l’amas de fils enchevêtrés qu’est ce carton ramené de l'hiver où il s'empoussiérait depuis tant d'années, détailler tous ces faisceaux d’indices et de traces d’une vie insoupçonnée, dérouler le fil des tissus mélangés pour reconstituer le parcours et les cheminements de cette femme au passé méconnu, entendre sa voix éteinte depuis bientôt cinq ans, lui rendre hommage, si faire se peut.