Waterman de P. sur feuille de cahier 21-29.4 à rayures Seyes
Matin, bougies, calme des oiseaux babillant sous le ciel encore gris.
Chacun s’affaire. Les mots reviennent de je ne sais où. Leur voyage n’est pas terminé, ils errent encore çà et là, à moi de les guider sur le chemin pour aller jusqu’à vous. J’ai l’aide des ancêtres, des âmes qui doivent parler, je me tais, les écoute. Mon pouce encore douloureux de la glissade mal rattrapée le jour du départ, à Noël, me rappelle pourquoi j’y allais, pourquoi je ne voulais pas, pourquoi je me suis retenue au montant de bois de ma chère maison, pourquoi j’ai toujours mal de ces moments de crainte et d’hésitation. L’émotion monte lentement, une boule dans la gorge, le souffle plus profond, il me faut ressentir, interroger ces sensations douces et puissantes qui montent en moi.
Les questions se faisaient multiples, assaillaient mon esprit et bataillaient ferme avec les contingences du quotidien - ne rien oublier, dialoguer avec les enfants ou mon frère si attentionné, fermer la maison ou du moins lui laisser les clefs, quitter le cocon des jours de vie et de deuil, pour quelques jours qui seraient sûrement difficiles, joyeux peut-être par moments, mais douloureux sûrement, tant l’attente de partage d’émotion était ancienne déjà. Je n’ai pas su alors comprendre ou écouter les signes de mon désarroi, la crainte de ce que j’allais vivre comme une raison de me concentrer, l’espoir de m’être trompée comme une motivation à me calmer, redescendre, écouter. Ensuite, le voyage, avec le triste arrêt auprès de M. souffrant dans son lit d’hôpital, qui ne serait finalement pas son dernier, ouf, la vaillance de cette femme ne cessera jamais.
De posts en commentaires – Abdulaye Sané berce âme et pensées, ref. à Etugen, lire encore, lire toujours, merci Margot Bonvallet, Jen Hendrycks ou Pascal Didier – j’ai dérivé quelques minutes vers Joy Sorman et retrouvé trace de cette rencontre de 2021 où elle avait présenté « à la folie », ce récit sur l'internement en HP. Le lien avec le petit livre dédicacé à P. retrouvé parmi ses archives (photos, écrits, objets du quotidien, etc.) me tire doucement vers ce qui va vraisemblablement être mon prochain « chantier » : démêler l’amas de fils enchevêtrés qu’est ce carton ramené de l'hiver où il s'empoussiérait depuis tant d'années, détailler tous ces faisceaux d’indices et de traces d’une vie insoupçonnée, dérouler le fil des tissus mélangés pour reconstituer le parcours et les cheminements de cette femme au passé méconnu, entendre sa voix éteinte depuis bientôt cinq ans, lui rendre hommage, si faire se peut.
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