vendredi 25 novembre 2022

Ste Catherine, tire la bobinette, ta vie s'envolera



En regardant les piles à lire amoncelées à mon chevet, sur ma table de travail, au pied d’une étagère tant elle est déjà pleine, pensées obscures. J’achète des livres pour remplir l’espace-temps inutilisé par l’amour, les regards, l’humour et les milles facéties qui faisaient la vie d'autrefois. Je comble avec les mots l’absence qui me transit de peur. J’éloigne à coups de chapitres et de phrases le moment où il me faudra affronter ce constat triste et lourd.

-

Ste Catherine, effervescence dans le village, les filles en âge d’être mariées mais pas encore sont sur la sellette. Bon gré mal gré, ça va être leur fête ce soir, toute la journée elles vont en entendre parler, ça va même les saouler tous ces regards, ces sous-entendus ou ces franches allusions à ce rite ancestral qui veut qu’une jeune femme de vingt-cinq ans doit avoir trouvé un mari… sinon… elle est la risée du village, la honte de ses parents – à moins qu’ils soient heureux de la garder près d’eux, disponible voire aimante, corvéable à merci pour la tenue de la maison ? – en tout cas esseulée à l’écart de la vie de ses paires, déjà épouses et mères depuis parfois bien des années.

Maria faillit être l’une d’elle, puisque mariée en septembre 1907, un peu plus de deux mois avant la date fatidique de son vingt-cinquième anniversaire, le 28 novembre. Dans trois jours, donc, on commémorera sa naissance il y a cent-quarante ans. Rien ne peut me rappeler les conditions de ses premières heures à Kerhino, le temps qu’il faisait, comment se sont passé accouchement et délivrance, ni quels furent les premiers mots prononcés par sa mère, son entourage – plus tard par son père revenu de navigation. 

Pour le raconter dans le livre, j’avais imaginé ; aujourd’hui, je n’entends aucune voix ni ne ressens aucun souvenir de ces temps anciens, le charme est rompu – est-ce moi qui l’ai brisé à trop fouiller le passé ? Cette quête du souvenir, ce lancinant besoin de savoir comment étaient les jours, ce qui faisait les mois et les années, s’est-elle achevée au fil des narrations, écrites ou de vive voix ? En moi plus de désir, effacées les envies, rien ne subsiste de la passion qui m’animait il n’y a pas si longtemps. Lassitude passagère ou définitive face aux montagnes de doutes et d’incertitudes ? Je préfère me tourner vers d’autres vies que celles des miens ancêtres. Impression de les avoir dérangé·es, qu’elles et ils réclament la paix, le silence et l’oubli. Comme si je devais me concentrer sur l’instant présent, le maintenant qui m’est inconfortable et que je devrais observer pour le comprendre, l’appréhender tel qu’il existe et non comme je le rêve trop souvent, pour peut-être l’accepter, l’aimer, qui sait ?, le choyer même ? 

En continuant ma quête du souvenir, les recherches en mémoire, je construis un abri où me garder cachée de la réalité banale et remplie de manques. En lisant en écrivant, je garde à distance l’insondable gouffre de névroses à peine nées, qui pourrait m’engloutir si je sortais la tête, les pensées, mon cœur battant, de ma tanière de mots.

vendredi 18 novembre 2022

La Trinité, c'est fini

 

       Aujourd’hui j’ai contemplé vingt ans de ma vie défiler 

le long de ce qui se nommait jusqu’alors 

le Cours des Quais, Darse Nord.


         Ce soir j’ai erré, triste et comme blasée, 

le long des commerces délaissés 

où j’ai vécu aimé pleuré les plus belles aventures 

professionnelles, amicales ou plus intimes.

 


J’ai regardé, sans frémir, les lambeaux de ces souvenirs 

s’en aller dans le couchant.

Le ciel était beau et pur, mon cœur semblait sec et dur.

 

Tout est fini à présent, La Trinité c’est du vent.

 



mercredi 19 octobre 2022

en souvenir d'un autre jour d'octobre

19.10.20 – 16h passé, l’écrivaine marche sur la plage. Dans les reflets azurés, ses yeux verts ; en suspens dans l’air qui souffle du Sud, les prémices d’un monde nouveau.

Quand la nouvelle lune est née, un homme est mort, décapité. La violence de l’humanité s’est enchâssée dans le cœur de la France, l’horreur absolue a encore frappé aux portes de Paris. La mer continue son œuvre de modelage sur les dunes et les rochers de tous les rivages, un homme est mort assassiné, pour les valeurs qu’il portait, pour les rumeurs de ceux qui le haïssaient, pour l’aube d’un monde incertain, pour la fin d’un cycle – espérons. De l’autre côté de l’océan aussi des hommes meurent, des femmes pleurent – mais des enfants naissent. Laisser le bruit du monde envahir le silence de nos vies hagardes. Ou forcer nos regards vers la beauté des âmes et la douceur du feu après une journée à la mer. Et aussi marcher vers les vagues, sentir la fraîcheur qui dans quelques instants transformera en chaleur chaque pore de ma peau, chaque étincelle de vie.

L’écrivaine marche sur la plage, incertaine encore d’un devenir improbable, mue par la seule force de ses ressentis, de ses pensées, de quelques rêves aussi. Halte hors du temps, loin des repères ou des bornes du quotidien, à l’abri des remous ou des odeurs fétides de l’actualité putride, proche des saveurs de la nature et des promesses de libertés infinies. Les vagues qui enserrent les blocs de béton armé, derniers vestiges du Mur de l’Atlantique, continuent inlassablement leur œuvre d’oubli, d’effacement du réel, d’anéantissement des preuves de la bêtise humaine. Bientôt plus de traces de l’Histoire, quelques souvenirs épars dans des mémoires blafardes, quelques paragraphes mal ronéotypés dans des livres qui partiront enfin en poussière, pour le bien de l’humanité, pour qu’advienne enfin le premier jour du monde nouveau - de paix et de quiétude.

Des enfants jouent en criant entre dunes et rochers, la mer monte et ne laissera bientôt plus que quelques mètres de sable sec aux promeneurs égarés en cet après-midi hors du temps. La mer le sable le ciel immenses les rondins de bois fichés en sol comme autant de remparts, parfois de guingois, pour contrer les vagues des plus hautes marées. Mes trois amours courent là-bas au bord de l’eau, pâles brindilles sur fond d’océan vert profond. Les vagues, franges mouvantes en lignes parallèles striées blanches ourlées de vapeur d’eau quand elles s’élancent contre le brun-beige de la plage. Les cristaux de roche, sable et coquillage, incrustés entre deux pages du cahier, donnent à mes mots un relief improbable, contraste étrange avec l’aspect lissé du sable et des poteaux de bois flottés et leur présence apaisante, comme rassurante. Fidèles à l’homme qui les a ainsi alignés, ils veillent au pied de la dune. Telle une émouvante armée de paysans au bas de l’imprenable et pourtant fragile forteresse du Moyen-âge, ils protègent hardiment les premiers brins d’herbe et petits arbustes qui tentent encore de braver les assauts des marées, de séparer la mer du reste de la terre. 

Les gars sont loin là-bas, je ne distingue plus leurs silhouettes dans l’immensité de la plage, seul le murmure des vagues et le bruissement des herbes sèches, roseaux, accompagnent mes pensées au gré du vent paisible de cette matinée inespérée, cette halte dans nos vies rythmées par les temps scolaires et professionnels, telle une incroyable chance, un drôle de luxe – amplement mérité pourtant. Cette nuit, je me réveille brusquement, il doit être 5h et quelques, il fait nuit noire et j’entends le vent dans les pins. Viennent alors les pensées étonnées par ce rêve où j’étais transposée dans les lieux et avec des personnes de mon roman en devenir, qui ressemble à un souvenir (ou une prémonition ?). Je gamberge à nouveau au sujet de Maria, le livre, à quoi ça me mène, où ça m’emmène ? Ça pourrait être l’histoire de la maison, en fait, de sa construction au douloureux moment des adieux à ses murs qui ont entendu et vu nos vies, il y a cent ans ou moins, beaucoup moins. Me vient l’envie d’en compter les jours de solitude, volets clos, portes fermées, silence installé pour les longs mois d’hiver ou les quelques semaines de villégiature que s’offrit parfois Maria sur ses vieux jours.

19 octobre 2022 - rien n'a changé, la plage doit toujours être là-bas, sable mer et ciel tout pareils. Et les êtres vivants puis morts, souffrant et se faisant souffrir. Ronde improbable mais toujours allant ses cercles d'existences et de départs, on rentre dans la danse, on en sort échevelé-e ou en haillons, à petits pas ou en grandes enjambées virevoltantes. Et toujours les vagues, toujours encore.