mardi 5 octobre 2021

digressions nocturnes


 

Une femme assise.

Une femme assise qui lit.

Un bouquet de fleurs jaunes et blanches dans un vase vert, plutôt carré. Non, rectangle. Vert.

Une femme accoudée à la table, assise sur un fauteuil jaune.

Une femme pensive en jupe noire et t-shirt rouge, col en V.

Une femme, jambes croisées, brune au teint halé.

Une femme qui pense, accoudée à une table rose pâle, la lettre posée devant elle.

Son reflet dans le miroir derrière elle, et un autre vase, de fleurs rouges celui-là.

Une femme triste accoudée à une table vide sauf un vase et deux losanges gris.

Des tableaux au mur, ou est-ce la mise en abime du reflet dans le miroir.

Et le bouquet dans le vase vert est beaucoup plus gros et plein de branchages verts et autres fleurs roses et grises.

Des traits des angles et quelques rondeurs, du noir et des couleurs.

Digression sur une œuvre de Matisse, et tant de choses à dire encore avant que l’ordinateur s’éteigne.

vendredi 1 octobre 2021

Première pluie d'octobre



Aujourd’hui, avant toute chose, écouter mon corps, mes sensations, la musique de l’univers.

Voilà ce qui me vient à l’esprit en ouvrant mon ordinateur, à la vue de ce collage de Matisse qui s’affiche en fond d’écran – passée la petite frayeur d’un redémarrage laborieux, le temps que je me souvienne l’avoir complètement éteint hier soir.

Recherchant le fichier image dans les tréfonds de l'arborescence informatique pour l’insérer ici, je suis intriguée par son titre et me pose d’autres questions. La Tristesse du roi, 1952. Je voyais un musicien, une danseuse, un mouvement de grâce parmi des pétales de fleurs printanières ou de feuilles tourbillonnant au cœur d’un été sec et venté, une fusion à l’univers, le lien entre les arts et la nature, une mère élancée vers les fluides merveilles offertes à son être rivé au sol par l’enfant qui l’enlace. Intriguée, j’y ressens à présent cette mélancolie, jetée par le personnage vert comme des pleurs qu’on voudrait disperser, façon de transmettre son émoi pour recevoir en retour un apaisement, une douceur dont on ne sait plus trouver la source.

Ou est-ce dans l’autre sens qu’il faut lire ce tableau, les feuilles dorées s’envolant du bord inférieur droit en une arabesque délicate qui contourne les artistes, danseuse concentrée sur ses mouvements, musicien plongé dans sa mélodie, tous deux tentant de leurs gestes graciles de laisser leurs âmes porter talent et énergie vers celui qui les reçoit, guettant d’une main grand ouverte les pépites d’émotions portées par l’air ?

Que tient-il dans le giron de ses jambes repliées, alors ? N’est-ce pas la tête blonde d’un enfant assoupi ? Je reste à méditer un instant, dehors le chat miaule (lui aussi de tristesse ?) face au jardin trempé, s’abritant comme il peut sur la terrasse brillante de la première pluie d’octobre. Il ne répond pas à mes caresses, si ce n’est pour me signifier que tout cela, le gris du ciel, un nouveau chien chez les voisins qui le nourrissent habituellement, ma farouche obstination à ne pas le laisser entrer par peur des puces et des allergies de mes enfants, tout cela, ce n’est pas un bon début de journée pour lui.

 

Kerbrezel, 1er octobre 2021

 

 

jeudi 1 juillet 2021

Aux talons du sommeil

 

à la fondation Manrique, Lanzarote, Islas Canarias - Chirino ?


Début d’été – il a fait treize degrés en France, 48 au Canada, le monde inquiète.

Nuit noire

L’aube d’un jour meilleur ne pointe pas encore

Oiseaux et feuillages se tiennent cois,

Je dors – ou pas.

Aux talons du sommeil, les rêves caracolent dans une brume lente. Filaments de possibles, bribes d’ailleurs et échappées au lointain font une farandole que j’aime à croire joyeuse, moi la naïve, l’illuminée d’un siècle trop technologique plongé dans la pénombre d’une apocalypse.

 Plus tard, enfin, toujours très tôt. Les odeurs du jardin encore humide de toute la pluie de juin percent une à une l’opaque voile où mon esprit est alangui. Le front marqué du pli de l’oreiller, une joue chaude comme un pain tout juste sorti du four, un orteil jouant à cache-cache avec le bord des draps, je m’éveille lentement.

Propos diffus, pensées homériques, me voilà tour à tour bravant l’édile crapuleux, les projections anxiogènes et les désirs bafoués.

J’écris pour les sans-joie, les sans-lendemain-qui-chantent, les sans-espoir-de-douceur. Je leur donne mes mots, venus d’un monde meilleur, d’un ancien temple d’or où se désaltéraient il y a longtemps les merveilles du vivant.

Quelques rares oasis subsistent encore dans nos cœurs, nous sommes nombreux mais ignorants des richesses ainsi camouflées, patiemment gardées, loin de l’arrogance des nantis, préservées des mitrailles du temps vendu au plus offrant.

Nous allons vaillamment, face au vent déjà fort, portant haut et clair nos voix pures : ne pas mentir, ne pas faiblir, main dans la main, le regard tourné vers l’avenir.

Il existe un autre jour, loin ou proche selon qu’on l’espère, le craint ou l’entreprend.

                                                                     Tout est dans la nuance.

samedi 26 juin 2021

26.06.21 – tristesse post-solstice



  Les habitudes de connexion numérique dès le réveil :

Alors que mon esprit est encore lié au monde naturel des rêves et d’un ailleurs inaccessible « en vrai », j’efface d’un toucher tremblant toute possibilité d’y rester quelques instants de plus, le temps de revisiter certaines caches de mon inconscient, d’arpenter certaines venelles de mes souvenirs, de laisser des visages et des gestes me guider vers l’important.

Au lieu de chérir et protéger les heures de balades oniriques, j’enfonce profond dans les tiroirs de ma mémoire, au plus sombre des étagères encombrées de mes archives intimes, toute trace de mes pérégrinations, toute éventuelle réminiscence de ce que j’y ai vu, su, entendu, compris.

Et je regarde l’humanité à travers un écran de 11x6 cm.

 

 La procrastination perpétuelle des tâches ménagères :

Recouvrant les draps de la vieille couverture marocaine, j’ai une pensée attristée pour les mains teintes au henné qui l’ont fabriquée il y a près d’un siècle. J’ai honte de mes atermoiements à recoudre sa bordure effilochée par les années de manipulation de ma grand-mère, ma mère, sa cousine et mes tantes et toutes celles qui ont lissé sur un lit ou un canapé sa texture laineuse, arrangeant les lignes bleues, crème, chocolat, aux pourtours d’un oreiller ou d’un accoudoir.

Je m’en veux de ne pas savoir préserver, ne faire qu’utiliser, ne pas prendre le temps du respect et du souvenir de ces êtres disparus qui ont œuvré à mon confort de cinquantenaire en 2021.

 Ou bien c’est cela, écrire ?